mercredi 30 novembre 2011

Les grandes lignes des travaux du Comité de concertation professionnelle pour la diffusion numérique en salles

Catherine Bailhache

Etienne Ollagnier, vous faites partie du Comité de concertation professionnelle pour la diffusion numérique en salles mis en place il y a un an par le CNC. Il semble avoir des vues sur le long terme puisque les membres sont élus pour trois ans, renouvelables. De là à imaginer un troisième mandat, il n’y a qu’un pas, puisque les questionnements qui nous occupent courront sur les dix années à venir, période au bout de laquelle l’amortissement du matériel installé en ce moment est réputé devoir être achevé, et où, quoiqu’il en soit, selon la loi, plus aucune contribution numérique ne sera dûe par les distributeurs.

Ce comité est composé de cinq représentants de distributeurs et cinq représentants de l'exploitation.

Les travaux de ce comité sont prolifiques : vous vous réunissez régulièrement et avez auditionné un certain nombre de professionnels. À ce jour, vous avez publié neuf recommandations de bonne pratique, les trois premières posant les bases générales, les autres venant éclairer les contractants. Comme nous le disions plus haut, elles ne sont pas forcément faciles à lire, mais une fois qu’on les a assimilées, on se rend compte que vous avez cherché, de façon objective, à partir des usages de la profession à les adapter à ce que vous pensez pouvoir être la nouvelle situation.

Ma première question serait que vous précisiez ce que vous avez cherché à faire avec ces préconisations et où vous en êtes aujourd’hui.

La deuxième serait de savoir, combien de sujets, de votre point de vue, avez-vous encore à discuter au sein du comité, et sur quoi porteraient les prochaines recommandations.

Enfin, comment comptez-vous synthétiser tout cela pour que cela soit compréhensible d’un seul coup d’œil pour la plupart des exploitants qui s’interrogent aujourd’hui sur la manière dont ils vont s’y prendre.



Etienne Ollagnier

Ce comité émane de la loi du 30 septembre 2010, loi qui définit un certain nombre de choses et en particulier le fait qu’elle va s’appuyer sur les usages professionnels, sans les préciser pour autant. Elle précise également que le CNC devra nommer un comité, qui aura pour vocation de redéfinir les usages professionnels et d’émettre des recommandations à destination du marché, afin de respecter les termes de cette loi et les adapter à ces usages professionnels. Nous avons commencé par relire précisément la loi. Comme pour toutes les lois il y a des choses simples et d’autres plus complexes. Notre volonté a été à travers les recommandations, de simplifier le travail des exploitants et des distributeurs dans leurs relations contractuelles, à l’occasion du passage au numérique.

Plus concrètement, nous avons commencé à travailler une semaine après la promulgation de la loi. Le comité est constitué de cinq membres de l’exploitation et cinq de la distribution, représentant la diversité de sensibilités de nos métiers. Circuits, petites salles, majors et distributeurs indépendants sont tous représentés. Pour être honnête, la première fois que nous nous sommes réunis, nous nous sommes demandé comment nous allions faire pour travailler ensemble. Les premières réunions ont connu des échanges un peu musclés puisque nous n’avions absolument pas les mêmes points de vue. Mais, lorsqu’on travaille ensemble une demie journée par semaine pendant plus d’un an, les discussions deviennent constructives et les terrains d’entente de plus en plus nombreux. J’ai mieux compris par exemple ce que c’était de distribuer des films pour une major et inversement les représentants des majors ont certainement pris en compte nos problématiques d’indépendants.



Nous avons donc commencé par les usages professionnels, des choses évidentes, mais pas si simple, comme les questions de dates de sorties, les circulations, les continuations, l’élargissement… Un certain nombre de choses qu’il a fallu définir pour pouvoir ensuite travailler avec les mêmes mots. Derrière ces mots assez simples, il y en a de beaucoup plus complexes dans la loi. Notamment les trois adjectifs sur lesquels elle se base. La loi précise en effet d’abord, que toutes les négociations doivent être menées entre les distributeurs et les exploitants de manière objective, équitable et transparente. Ce sont à la fois les mots les plus sympathiques qu’on puisse imaginer, et en même temps…

La recommandation n°9 par exemple définit l’équité entre les parties. Si nous l’avons traitée en neuvième position, c’est qu’il a fallu beaucoup de temps pour nous comprenions tous cette idée de la même manière. Un des grand principes que nous avons longuement discuté, c’est de considérer que l’équité n’est pas l’égalité. À situation équivalente, les gens doivent être traités de manière équivalente, mais comme il y a un marché avec des gros et de petits exploitants et des gros et petits distributeurs, la notion de situations équivalentes n’est pas évidente. Cette situation existait déjà avec le 35 mm : un distributeur du SDI payait ses copies 35 mm beaucoup plus cher qu’une major qui les faisait fabriquer à l’étranger. Nous avons donc discuté pour savoir si, au regard de cette information, il était équitable ou pas que la major paye une CN moins importante. Nous avons conclu que cela pouvait être équitable, mais, et c’est là que les recommandations prennent leur sens, il fallait que cela reste dans une fourchette de CN raisonnable. Il y aura nécessairement des différences de traitements, c’est le marché qui veut cela, mais cela ne doit pas devenir totalement inéquitable.



Catherine Bailhache

Si je comprends bien, un distributeur indépendant, qui a une structure plus fragile, va devoir payer une CN plus importante qu’une major qui a, de fait, les épaules plus solides. Cela paraît tout de même paradoxal !


Etienne Ollagnier

C’est vrai, mais la légère différence qui va exister dans les tarifs des CN sera toujours moins importante que ce qui existait pour les tarifs au mètre de la pellicule 35 mm. La loi dit que c’est l’économie des distributeurs qui doit être transmise aux exploitants. Si on raisonne de cette manière, l’économie des distributeurs indépendants sera plus importante que celle des gros distributeurs. Avec ce mécanisme, le petit distributeur peut être gagnant.



Laura Koeppel

Si je peux apporter un petit bémol, les CN ne sont dues que pendant la période d’amortissement du matériel, or ce moment correspond aussi à la bascule du parc, moment où l’on fonctionne encore sur les deux supports, numérique et 35 mm. On sait que les salles qui ne sont pas encore équipées sont plutôt celles de la petite et moyenne exploitation, là où les petits et moyens distributeurs placent leurs copies. S’ils veulent que leurs films sortent, ils doivent donc payer des CN plus chères mais aussi des copies 35 mm.


Etienne Ollagnier

Évidemment, en tant que distributeur indépendant au sein du comité, j’ai parlé pour ma corporation. Pendant les négociations, j’ai essayé d’obtenir, comme chacun autour de la table, le meilleur dans le cadre d’un compromis. On a essayé de travailler sur la phase de transition, mais en même temps, ça n’était pas notre rôle de régler les problèmes liés à ce moment. C’est vrai que si je mets ma casquette de distributeur, mes sorties de fin d’année sont entre 1,3 et 1,5 fois plus chères que pour la même période l’année dernière, je ne peux pas nier que c’est un gros problème. Mais le rôle du Comité est d’émettre des recommandations dans le cadre du long terme, pour le moment où le numérique sera une réalité totale.

Nos recommandations vont dans le sens d’un équipement des salles dans les plus brefs délais. D’où les contrats à longs termes par exemple. Je m’explique : une des recommandations a été d’inciter les exploitants et les distributeurs à signer des contrats sur toute la durée de la loi, ou a minima sur la durée d’amortissement, pour permettre aux salles qui ont des difficultés à trouver des financements, notamment auprès des banques, d’avoir des contrats solides - si vous avez signé avec x distributeurs qui vous fournissent en moyenne x films par an, vous pouvez prévoir tel montant sur la durée du contrat. La plupart de nos recommandations vont dans le sens d’une accélération du marché.



Catherine Bailhache

Il faut préciser qu’une des recommandations détaille les articles d’un contrat-type et le contenu minimum que l’on doit y trouver.



Etienne Ollagnier

Ce qui est complexe, c’est que nous parlons de beaucoup de choses, mais nous ne pouvons donner des recommandations que dans la limite de la mission qui nous a été confiée.



Baïny Diakite (Concorde de la Roche sur Yon)

Au vu de la loi, pourquoi ne détermine-t-on pas clairement une somme fixe pour les CN plutôt qu’une fourchette dictée par les lois du marché ? Est-ce que ça ne simplifierait pas les relations exploitants / distributeurs ?



Catherine Bailhache

C’est précisément interdit puisqu’il s’agit de loi de marché.



Baïny Diakite
Pourtant on parle de remboursement de matériel, on est donc déconnecté du marché.



Etienne Ollagnier

On est sur du remboursement de matériel, mais sur des bases qui sont totalement différentes selon les typologies de salles. Le Comité a quand même pris conscience qu’il y avait des fourchettes de coût de matériel. Si une salle veut s’équiper de la Rolls-royce des équipements avec 3D, 4K and co, ça ne marche pas.

Nos travaux ont été alimentés par les devis des premières salles équipées que nous a fournis le CNC. On s’est rendu compte qu’un coût d’équipement moyen, selon la salle, variait entre 60.000 et 90.000.€. Nous avons exclu certains coûts du modèle CN, notamment la 3D qui a son modèle économique propre. Nous avons également inclus les coûts obligatoires, comme la ventilation, qui est nécessaire pour l’équipement numérique, mais nous n’avons pas pu prendre en compte toutes les spécificités de toutes les salles. Il y a aussi le CNC qui est là pour prendre en charge les exceptions.

Le Comité a donc défini des fourchettes qui correspondent au marché et dans le cadre de ses fourchettes, la négociation doit pouvoir s’articuler. De fait, on arrivera à des résultats différents.

Par exemple, si on prend d'un côté le SDI, nous avons monté le GIE INDIS regroupant une trentaine de distributeurs indépendants pour mener ces négociations – sachant que les contrats seront ensuite signés société par société– et de l'autre côté, le DIRE qui à monté un GIE équivalent nommé DIRECT, forcément, même si on sait à peu près où en est tout un chacun, nous n’arriverons pas exactement au même montant de CN négocié. Mais si on suit les recommandations, que nos interlocuteurs les suivent aussi, normalement on doit arriver dans une fourchette de CN qu’on peut considérer comme équitable.



Baïny Diakite
L’Autorité de la Concurrence interdit aussi de publier les chiffres résultant de ces négociations ?




Catherine Bailhache

C’est le droit du silence dans les affaires…




Du rôle du médiateur


Catherine Bailhache

Il y a une chose que l’on peut préciser. Les préconisations, comme le nom l’indique ne sont que des recommandations. Ce n’est pas la loi. Et en même temps, dans la rédaction, on voit comment le jour venu, en cas de litige, le médiateur peut s’appuyer sur ces documents pour trancher.



Etienne Ollagnier

Oui, c’est un peu la vocation des recommandations. La loi a quand même donné une certaine autorité au Comité de concertation. Nous sommes d’ailleurs encadrés par un Comité de suivi de la loi constitué de députés et sénateurs. Il y a eu une rencontre lors du Congrès des exploitants avec les rapporteurs de la loi qui nous ont auditionnés pour savoir comment nous percevions le suivi, ou non, de nos recommandations. Sachant que, comme toute loi, celle-ci peut évoluer et que, si d’un côté nos recommandations sont globalement considérées comme bénéfiques par l’ensemble de la profession mais que de l'autre les députés considèrent qu’elles ne sont pas suivies par le marché, elles peuvent devenir parties intégrantes de la loi dans le futur.


Il y a la loi, mais il y a eu aussi le rapport du Sénat sur les discussions qui ont eu lieu sur le texte de loi. On y perçoit l’interprétation de la loi et nous nous sommes basés là-dessus, sachant que cet esprit de la loi est parfois contourné par certains acteurs du marché. Aujourd’hui, le Comité avance sur le rythme le plus rapide possible, les députés ont pris acte de nos recommandations, on voit quand même qu’elles sont suivies par le marché dans sa grande majorité, sinon à la lettre, au moins dans les grandes lignes. Il y a toujours des moutons noirs, mais aujourd’hui, le médiateur peut jouer son rôle, sous réserve qu’il soit sollicité bien sûr. Les premières saisines sur le numérique commencent à se multiplier sur des sujets bien précis comme le patrimoine. Il est dit dans la loi que les CN sont dues pour les films inédits. Il n’est pas dit précisément qu’elles ne sont pas dues pour les films non inédits, mais cela a été précisé dans le rapport du Sénat. Du coup, le Comité a plutôt suivi le rapport sur ce point et préconisé que le patrimoine – redéfini par ailleurs dans la préconisation n°8 – ne paie pas de CN, au même titre que les courts-métrages et un certain nombre d’autres événements particuliers. Cela est contesté par certains acteurs du marché et c’est au médiateur de rendre un avis et a priori, on peut penser qu’il va suivre les recommandations.



Christian Oddos

Sous réserve que la position du médiateur ne soit pas contestée devant les tribunaux par les acteurs dont tu parles. Auquel cas, on est partis pour trois ans de conflit juridique.



Catherine Bailhache

On comprend mieux pourquoi le CNC a nommé le Comité sur la durée. Les choses vont continuer de se définir au fur et à mesure et pendant un certain temps encore.