mercredi 30 novembre 2011

Présentation des intervenants


Catherine Bailhache

Bonjour, je vous présente Christian Oddos, co-organisateur de cette table ronde, permanent du SDI qui regroupe une trentaine de distributeurs.

Etienne Ollagnier dirige Jour 2 fête qui distribue le film “Le Jour de la grenouille“, présenté en compétition dans ce festival. Il est également co-président du SDI avec Vincent Paul-Boncour (Président de Carlotta Films) et membre depuis un an, depuis sa constitution par le CNC, du Comité de concertation professionnelle pour la diffusion numérique en salles. Ce comité élabore les règles de partage, de contractualisation, de collecte des contributions numériques (CN)…

Laura Koeppel, projectionniste multi cartes, ayant projeté sur à peu près toutes les machines existantes à ce jour. Elle est également exploitante et animatrice et a fait partie de 2007 à 2010 de la Commission d'aide sélective à la distribution du CNC. Laura va pouvoir nous parler du point de vue technique et nous apporter sa réflexion sur la question de la contribution numérique.

Sylvain Clochard, exploitant au Concorde à Nantes, établissement classé art et essai, labellisé recherche et jeune public. Sylvain est également programmateur, avec deux sociétés spécialisées Epic et Micromégas, d’un certain nombre de salles dans les Pays-de-la-Loire, en Bretagne, dans l’Est de la France… Il présente deux particularités : il s'est équipé bien avant tout le monde, en 2006, moment où la loi n’existait pas encore, et il ne demande pas de contributions numériques aux distributeurs.



Je salue également la présence dans l’assistance de plusieurs personnalités.

Soizig Le Dévéhat ici présente est ma collaboratrice à l’ACOR. Elle a beau bien connaître le sujet et l’exploitation, comme beaucoup, elle a du mal à la lecture des textes du Comité. Je le dis en passant pour rappeler que ça n’est pas si simple pour les personnes qui abordent le sujet.


Fabrice Ricque, vice-président de l’ACOR, exploitant à l’Ariel de Mont-Saint-Aignan, qui est sur le point de s’équiper et qui se pose beaucoup de questions sur les choix à prendre et ceux à éviter.


Jean-Fabrice Janaudy, directeur des Acacias, société multi casquettes qui distribue des films récents et de patrimoine, mais qui programme aussi, avec Simon Simsi, le Max Linder à Paris et le cinéma de Vincennes.

Baïny Diakite qui travaille au cinéma le Concorde à La Roche-sur-Yon. Elle contribue à la mise en place du dossier de demande d’équipement, se pose beaucoup de questions, a déjà trouvé quelques réponses, mais il reste encore des blancs à combler.

Quant à Julie Reynard, elle représente le Dietrich à Poitiers, qui s’apprête également à s’équiper et se demande comment elle va s’y prendre, avec un tiers ou pas…

Frédérique Jamet, conseillère cinéma, audiovisuel et multimédia à la DRAC - Direction régionale de l'action culturelle de Pays de la Loire.

Antoine Filippi, chargé de mission territoriale cinéma audiovisuel auc CNC - Centre national du cinéma et de l'image animée.

Vient de nous rejoindre Guylaine Hass, chargée de programmes pour ce qui concerne le cinéma au sein du Conseil régional des Pays de la Loire, et partant, de l’équipement numérique des salles. La Région a édicté son règlement pour ce qui concerne l’équipement des salles en novembre dernier, finalement assez rapidement.


Guylaine Haas

Le règlement d’intervention a été voté en novembre 2010, il a fait l’objet d’une large concertation avec les professionnels, dans le cadre de la CRCC (Conférence régionale consultative de la culture). À ce jour, 25 salles ont bénéficié d’aides à l’équipement. Pour finir, d’après les chiffres du CNC, nous sommes la troisième région en terme de taux d’équipement, que ce soit en nombre de salles ou en nombres d’écrans. Je crois que cela traduit bien le dynamisme des exploitants et notre capacité à accompagner cet élan.





L'historique de l'adoption en France du principe
des contributions numériques



Christian Oddos

Avant qu’on ne parte dans les débats économico-techniques, je voulais juste dire quelques mots pour resituer d’où l’on vient et pourquoi on en est là. Cela va être volontairement un peu caricatural.

Il ne faut pas oublier qu’un jour, le marché Nord-Américain a décidé de passer au numérique, essentiellement pour la 3D et les économies d’échelles pour les gros distributeurs. Après un très vif affrontement entre exploitants et distrubuteurs, ils ont décidé mettre en place le système des Virtual Print Fee (VPF) qui est devenu celui de la Contribution numérique (CN) en France. Ils ont donc, comme d’habitude, exporté leur modèle économique sur le marché français.

Avant que la loi ne soit mise en place, la France s’est donc vue imposer un modèle qui favorisait les gros distributeurs et les grosses salles, qui entraient dans une logique d’équipement numérique pour faire des économies d’échelles. Ceci favorisait majoritairement les blockbusters et l’ensemble des films ayant des amortissements sur des durées très courtes.

Très rapidement les indépendants (salles, distributeurs et producteurs) et les auteurs ont décidé de créer une association qui s’appelait le CIN - Collectif des indépendants pour le numérique, qui a été piloté au départ par les distributeurs puisque que ce sont le DIRE et le SDI qui furent à l’origine de cette dynamique. Nous nous sommes dit que si nous laissions ce modèle américain se mettre en place, nous allions nous retrouver dans un système à deux vitesse avec des grosses salles équipées, quelques petites salles équipées grâce aux subventions locales et autres, et une grande part de salles pas équipées du tout. Ce qui n’était pas envisageable pour les distributeurs, surtout les moyens et les petits, qui se retrouvaient en porte-à-faux, obligé d’engager des doubles frais, de masters et de copies 35 mm… Ce que nous expérimentons encore aujourd’hui puisque nous sommes encore en période de transition entre les deux systèmes.

Partant de ce constat, le Collectif s’est demandé comment faire pour que ce marché de salles et de films ne soit pas laissés pour compte. Je dis bien de salles et de films, car les distributeurs, dès le départ, contrairement au CNC, ont bien essayé de faire comprendre que s’il y avait un problème de salles, il y avait aussi un problème de films et de capacité pour les distributeurs à les proposer sur les deux types de formats. Pendant deux ans, nous avons eu pour objectif de proposer un système mutualisé, dans la philosophie du fonds de soutien, dans lequel on intégrait l’idée de la contribution numérique, parce qu’on ne pouvait pas faire autrement, mais en essayant de faire en sorte que cette contribution serve à équiper très vite la totalité des salles qui n’avait pas accès à cette logique de marché ou de subventions.



Catherine Bailhache

Pour résumer, ce système permettait que toute les CN soient mises dans un pot commun et que les grosses salles, qui allaient logiquement en toucher le plus, aident à rembourser l’équipement des plus petites.



Christian Oddos

Sauf qu’à l’époque, la durée sur laquelle allait être payée la CN n’était pas encore fixée. Nous avions beaucoup d’interrogations là-dessus, notamment sur la façon de ne pas pénaliser les films qui circulent et font leur carrière sur le long terme. FNDF n'est pas entrée dans le Collectif, cependant que la FNCF freinait des quatre fers devant l’évolution du numérique, du moins devant notre modèle. Le Collectif a donc souhaité que son modèle soit relayé par le CNC, qu’il devienne officiellement une sorte de « fonds de soutien bis » dédié au numérique.

Le CNC a repris une très grande part de nos propositions, les a adaptées aux exigences réglementaires nationales et européennes et a ensuite proposé le texte l’Autorité de la concurrence pour validation.

Pour des raisons que j’ignore, le CNC a très longtemps considéré comme évidente que la réponse serait positive. Nous avons aussi rencontré cette Autorité, qui a très largement auditionné les professionnels du cinéma, y compris les tiers opérateurs, qui existaient déjà à ce moment-là. Ils avaient déjà pris des positions sur le marché et voyaient bien sûr ce fonds de soutien d’un très mauvais œil, comme pouvant leur prendre des clients potentiels.

Pour mémoire je rappelle qu’il existe trois type de tiers. Les tiers financeurs, les tiers opérateurs et les tiers collecteurs. Dans les trois cas de figures le principe est le même, on regroupe des salles et un intermédiaire se met en place entre elles et le distributeur ; seule la logique financière change. Ce «.tiers.» est chargé de négocier avec les fabricants de matériel et les installateurs dans les salles (en finançant directement le coût ou en garantissant à terme son amortissement vis-à-vis des établissements de crédit). Il permet à la salle de trouver un financement soit en apportant l’investissement soit en garantissant un emprunt. Il se charge ensuite de collecter les CN qui permettent d’amortir l’investissement. C’est un nouvel intermédiaire qui arrive sur un marché sur lequel il n’y avait antérieurement que des exploitants et des distributeurs.

Je reviens au texte présenté par le CNC, qui a donc été rejeté par l’Autorité de la concurrence. Elle a considéré qu’il ne permettait pas aux tiers opérateurs de se développer librement, qu’il interférait avec la liberté de commerce du marché et que le CNC, pouvoir réglementaire attribuant des fonds publics, était à la fois juge et partie. Ce qui est étonnant, c’est que le fonds de soutien classique n’est pas jugé comme anti-concurrentiel, mais le fonds de mutualisation sur le numérique oui, alors que nous sommes clairement sur la même logique. Je pense quand même que le CNC n’a pas bien communiqué sur le dossier. Par ailleurs, il convient d’être conscients que l’Autorité de la concurrence défend désormais des principes guidés par une logique économique d’inspiration purement libérale.



Sylvain Clochard

Pour moi c’est vraiment le fond du problème. Il y a ce système qui s’est mis en place au Etats-Unis parce qu’ils n’ont pas d’équivalent du CNC. En France, comme tu l’as dit, il existe un fonds de mutualisation dont le but premier, je le rappelle, est l’aide à la création, la modernisation et à l’équipement des salles. Ce fonds de soutien étant alimenté par la TSA (Taxe spéciale d'un montant de 10,72% du prix d’un billet ponctionnée par le CNC pour constituer un fonds de réinvestissement dans le cinéma et l'audiovisuel) et redistribué à l’ensemble de la filière française. C’est ce qui fait la spécificité du système français. Il y avait donc une solution très simple, avant de se lancer dans le système de la CN, qui était de partir directement de ce fonds soutien et de voir comment l’adapter. Finalement cette option n’a pas été étudiée. Nous sommes partis sur le système américain qui part d’une somme forfaitaire, alors que le système du fonds de soutien est proportionné (en fonction des recettes). À partir du moment où l’on créer une notion de seuil (la CN en l’occurrence) on entraîne nécessairement des questionnements nouveaux au moment de la sortie des films : chez qui va sortir le film, à qui paye-t-on 500.€ de CN ? Quand on est sur un système proportionné ces questions ne se posent pas. Que le film sorte ou pas chez vous, vous cotisez. Tous les problèmes que le comité consultatif essaie de résoudre aujourd’hui partent de là.



Christian Oddos

C’est l'une des propositions que le SDI avait faite au moment où le texte a été retoqué. Nous avions proposé une majoration temporaire de la TSA qui se serait arrêtée après l’amortissement du matériel.



Catherine Bailhache

Sauf qu’entre-temps les tiers investisseurs avaient déjà commencé à travailler…



Christian Oddos

C’est justement un des faux arguments qui a été utilisé par le CNC, disant que dans certains cas il faudrait payer deux fois… Sauf que nous avions proposé un système de péréquation qui permettait de rembourser ceux qui avaient déjà versé des CN, de façon à ce que cela soit totalement neutre. Cela a été refusé sous le prétexte que l’Union européenne devrait être consultée et que l’obtention d’une réponse mettrait deux ans à parvenir. Cette solution, également soutenue par le GNCR n’a même pas été étudiée mais refusée a priori.



Laura Koeppel

Pour nous, les enjeux qui découlent de tout cela sont très clairs, mais il faut dire que ces tiers, ces financiers, arrivent exactement sur la ligne de rapports de forces, souvent cordiaux mais relativement tendus, qui existe entre distributeurs et exploitants. C’est cette ligne qui permet aux films de sortir, de trouver leur public, mais aussi de faire remonter l’argent vers les distributeurs et le CNC. Si ces enjeux sont tellement importants, et la grande crainte que l’on peut avoir, c’est de savoir comment ces financiers vont jouer sur cette ligne de rapports de forces qui est finalement la plus tendue de la profession. Dans quelles mesures cela risque-t-il de faire bouger des lignes qui sont déjà très complexes ? Notamment pour des films qui sont plus fragiles que d’autres et des salles indépendantes qui font parties de la petite et moyenne exploitation. Les dispositifs mis en place après le refus du texte par l’Autorité de la concurrence vont-ils permettre ou pas de contrôler cette fracture ?

Personnellement, je pense que cela redéfinit une nouvelle ligne, qui n’est plus entre distributeurs et exploitants, mais entre gros circuits et gros distributeurs d’un côté et distributeurs indépendants et salles indépendantes de la petite et moyenne exploitation de l’autre. Des personnes qui avaient l’habitude d’être face à face devraient peut-être réfléchir sérieusement à discuter ensemble si on ne veut pas voir certains films et certaines salles disparaître, tout simplement.



Catherine Bailhache

Pour clore cette introduction, même les gens qui n’ont pas l’habitude auront bien compris que ce sujet, même s’il est clos aujourd’hui, continue de déchaîner les passions. Il y a beaucoup de frustration de n’avoir pas réussi à mettre en place ce système dont on peut penser qu'il aurait certainement très bien fonctionné.