mercredi 30 novembre 2011

Présentation des intervenants


Catherine Bailhache

Bonjour, je vous présente Christian Oddos, co-organisateur de cette table ronde, permanent du SDI qui regroupe une trentaine de distributeurs.

Etienne Ollagnier dirige Jour 2 fête qui distribue le film “Le Jour de la grenouille“, présenté en compétition dans ce festival. Il est également co-président du SDI avec Vincent Paul-Boncour (Président de Carlotta Films) et membre depuis un an, depuis sa constitution par le CNC, du Comité de concertation professionnelle pour la diffusion numérique en salles. Ce comité élabore les règles de partage, de contractualisation, de collecte des contributions numériques (CN)…

Laura Koeppel, projectionniste multi cartes, ayant projeté sur à peu près toutes les machines existantes à ce jour. Elle est également exploitante et animatrice et a fait partie de 2007 à 2010 de la Commission d'aide sélective à la distribution du CNC. Laura va pouvoir nous parler du point de vue technique et nous apporter sa réflexion sur la question de la contribution numérique.

Sylvain Clochard, exploitant au Concorde à Nantes, établissement classé art et essai, labellisé recherche et jeune public. Sylvain est également programmateur, avec deux sociétés spécialisées Epic et Micromégas, d’un certain nombre de salles dans les Pays-de-la-Loire, en Bretagne, dans l’Est de la France… Il présente deux particularités : il s'est équipé bien avant tout le monde, en 2006, moment où la loi n’existait pas encore, et il ne demande pas de contributions numériques aux distributeurs.



Je salue également la présence dans l’assistance de plusieurs personnalités.

Soizig Le Dévéhat ici présente est ma collaboratrice à l’ACOR. Elle a beau bien connaître le sujet et l’exploitation, comme beaucoup, elle a du mal à la lecture des textes du Comité. Je le dis en passant pour rappeler que ça n’est pas si simple pour les personnes qui abordent le sujet.


Fabrice Ricque, vice-président de l’ACOR, exploitant à l’Ariel de Mont-Saint-Aignan, qui est sur le point de s’équiper et qui se pose beaucoup de questions sur les choix à prendre et ceux à éviter.


Jean-Fabrice Janaudy, directeur des Acacias, société multi casquettes qui distribue des films récents et de patrimoine, mais qui programme aussi, avec Simon Simsi, le Max Linder à Paris et le cinéma de Vincennes.

Baïny Diakite qui travaille au cinéma le Concorde à La Roche-sur-Yon. Elle contribue à la mise en place du dossier de demande d’équipement, se pose beaucoup de questions, a déjà trouvé quelques réponses, mais il reste encore des blancs à combler.

Quant à Julie Reynard, elle représente le Dietrich à Poitiers, qui s’apprête également à s’équiper et se demande comment elle va s’y prendre, avec un tiers ou pas…

Frédérique Jamet, conseillère cinéma, audiovisuel et multimédia à la DRAC - Direction régionale de l'action culturelle de Pays de la Loire.

Antoine Filippi, chargé de mission territoriale cinéma audiovisuel auc CNC - Centre national du cinéma et de l'image animée.

Vient de nous rejoindre Guylaine Hass, chargée de programmes pour ce qui concerne le cinéma au sein du Conseil régional des Pays de la Loire, et partant, de l’équipement numérique des salles. La Région a édicté son règlement pour ce qui concerne l’équipement des salles en novembre dernier, finalement assez rapidement.


Guylaine Haas

Le règlement d’intervention a été voté en novembre 2010, il a fait l’objet d’une large concertation avec les professionnels, dans le cadre de la CRCC (Conférence régionale consultative de la culture). À ce jour, 25 salles ont bénéficié d’aides à l’équipement. Pour finir, d’après les chiffres du CNC, nous sommes la troisième région en terme de taux d’équipement, que ce soit en nombre de salles ou en nombres d’écrans. Je crois que cela traduit bien le dynamisme des exploitants et notre capacité à accompagner cet élan.





L'historique de l'adoption en France du principe
des contributions numériques



Christian Oddos

Avant qu’on ne parte dans les débats économico-techniques, je voulais juste dire quelques mots pour resituer d’où l’on vient et pourquoi on en est là. Cela va être volontairement un peu caricatural.

Il ne faut pas oublier qu’un jour, le marché Nord-Américain a décidé de passer au numérique, essentiellement pour la 3D et les économies d’échelles pour les gros distributeurs. Après un très vif affrontement entre exploitants et distrubuteurs, ils ont décidé mettre en place le système des Virtual Print Fee (VPF) qui est devenu celui de la Contribution numérique (CN) en France. Ils ont donc, comme d’habitude, exporté leur modèle économique sur le marché français.

Avant que la loi ne soit mise en place, la France s’est donc vue imposer un modèle qui favorisait les gros distributeurs et les grosses salles, qui entraient dans une logique d’équipement numérique pour faire des économies d’échelles. Ceci favorisait majoritairement les blockbusters et l’ensemble des films ayant des amortissements sur des durées très courtes.

Très rapidement les indépendants (salles, distributeurs et producteurs) et les auteurs ont décidé de créer une association qui s’appelait le CIN - Collectif des indépendants pour le numérique, qui a été piloté au départ par les distributeurs puisque que ce sont le DIRE et le SDI qui furent à l’origine de cette dynamique. Nous nous sommes dit que si nous laissions ce modèle américain se mettre en place, nous allions nous retrouver dans un système à deux vitesse avec des grosses salles équipées, quelques petites salles équipées grâce aux subventions locales et autres, et une grande part de salles pas équipées du tout. Ce qui n’était pas envisageable pour les distributeurs, surtout les moyens et les petits, qui se retrouvaient en porte-à-faux, obligé d’engager des doubles frais, de masters et de copies 35 mm… Ce que nous expérimentons encore aujourd’hui puisque nous sommes encore en période de transition entre les deux systèmes.

Partant de ce constat, le Collectif s’est demandé comment faire pour que ce marché de salles et de films ne soit pas laissés pour compte. Je dis bien de salles et de films, car les distributeurs, dès le départ, contrairement au CNC, ont bien essayé de faire comprendre que s’il y avait un problème de salles, il y avait aussi un problème de films et de capacité pour les distributeurs à les proposer sur les deux types de formats. Pendant deux ans, nous avons eu pour objectif de proposer un système mutualisé, dans la philosophie du fonds de soutien, dans lequel on intégrait l’idée de la contribution numérique, parce qu’on ne pouvait pas faire autrement, mais en essayant de faire en sorte que cette contribution serve à équiper très vite la totalité des salles qui n’avait pas accès à cette logique de marché ou de subventions.



Catherine Bailhache

Pour résumer, ce système permettait que toute les CN soient mises dans un pot commun et que les grosses salles, qui allaient logiquement en toucher le plus, aident à rembourser l’équipement des plus petites.



Christian Oddos

Sauf qu’à l’époque, la durée sur laquelle allait être payée la CN n’était pas encore fixée. Nous avions beaucoup d’interrogations là-dessus, notamment sur la façon de ne pas pénaliser les films qui circulent et font leur carrière sur le long terme. FNDF n'est pas entrée dans le Collectif, cependant que la FNCF freinait des quatre fers devant l’évolution du numérique, du moins devant notre modèle. Le Collectif a donc souhaité que son modèle soit relayé par le CNC, qu’il devienne officiellement une sorte de « fonds de soutien bis » dédié au numérique.

Le CNC a repris une très grande part de nos propositions, les a adaptées aux exigences réglementaires nationales et européennes et a ensuite proposé le texte l’Autorité de la concurrence pour validation.

Pour des raisons que j’ignore, le CNC a très longtemps considéré comme évidente que la réponse serait positive. Nous avons aussi rencontré cette Autorité, qui a très largement auditionné les professionnels du cinéma, y compris les tiers opérateurs, qui existaient déjà à ce moment-là. Ils avaient déjà pris des positions sur le marché et voyaient bien sûr ce fonds de soutien d’un très mauvais œil, comme pouvant leur prendre des clients potentiels.

Pour mémoire je rappelle qu’il existe trois type de tiers. Les tiers financeurs, les tiers opérateurs et les tiers collecteurs. Dans les trois cas de figures le principe est le même, on regroupe des salles et un intermédiaire se met en place entre elles et le distributeur ; seule la logique financière change. Ce «.tiers.» est chargé de négocier avec les fabricants de matériel et les installateurs dans les salles (en finançant directement le coût ou en garantissant à terme son amortissement vis-à-vis des établissements de crédit). Il permet à la salle de trouver un financement soit en apportant l’investissement soit en garantissant un emprunt. Il se charge ensuite de collecter les CN qui permettent d’amortir l’investissement. C’est un nouvel intermédiaire qui arrive sur un marché sur lequel il n’y avait antérieurement que des exploitants et des distributeurs.

Je reviens au texte présenté par le CNC, qui a donc été rejeté par l’Autorité de la concurrence. Elle a considéré qu’il ne permettait pas aux tiers opérateurs de se développer librement, qu’il interférait avec la liberté de commerce du marché et que le CNC, pouvoir réglementaire attribuant des fonds publics, était à la fois juge et partie. Ce qui est étonnant, c’est que le fonds de soutien classique n’est pas jugé comme anti-concurrentiel, mais le fonds de mutualisation sur le numérique oui, alors que nous sommes clairement sur la même logique. Je pense quand même que le CNC n’a pas bien communiqué sur le dossier. Par ailleurs, il convient d’être conscients que l’Autorité de la concurrence défend désormais des principes guidés par une logique économique d’inspiration purement libérale.



Sylvain Clochard

Pour moi c’est vraiment le fond du problème. Il y a ce système qui s’est mis en place au Etats-Unis parce qu’ils n’ont pas d’équivalent du CNC. En France, comme tu l’as dit, il existe un fonds de mutualisation dont le but premier, je le rappelle, est l’aide à la création, la modernisation et à l’équipement des salles. Ce fonds de soutien étant alimenté par la TSA (Taxe spéciale d'un montant de 10,72% du prix d’un billet ponctionnée par le CNC pour constituer un fonds de réinvestissement dans le cinéma et l'audiovisuel) et redistribué à l’ensemble de la filière française. C’est ce qui fait la spécificité du système français. Il y avait donc une solution très simple, avant de se lancer dans le système de la CN, qui était de partir directement de ce fonds soutien et de voir comment l’adapter. Finalement cette option n’a pas été étudiée. Nous sommes partis sur le système américain qui part d’une somme forfaitaire, alors que le système du fonds de soutien est proportionné (en fonction des recettes). À partir du moment où l’on créer une notion de seuil (la CN en l’occurrence) on entraîne nécessairement des questionnements nouveaux au moment de la sortie des films : chez qui va sortir le film, à qui paye-t-on 500.€ de CN ? Quand on est sur un système proportionné ces questions ne se posent pas. Que le film sorte ou pas chez vous, vous cotisez. Tous les problèmes que le comité consultatif essaie de résoudre aujourd’hui partent de là.



Christian Oddos

C’est l'une des propositions que le SDI avait faite au moment où le texte a été retoqué. Nous avions proposé une majoration temporaire de la TSA qui se serait arrêtée après l’amortissement du matériel.



Catherine Bailhache

Sauf qu’entre-temps les tiers investisseurs avaient déjà commencé à travailler…



Christian Oddos

C’est justement un des faux arguments qui a été utilisé par le CNC, disant que dans certains cas il faudrait payer deux fois… Sauf que nous avions proposé un système de péréquation qui permettait de rembourser ceux qui avaient déjà versé des CN, de façon à ce que cela soit totalement neutre. Cela a été refusé sous le prétexte que l’Union européenne devrait être consultée et que l’obtention d’une réponse mettrait deux ans à parvenir. Cette solution, également soutenue par le GNCR n’a même pas été étudiée mais refusée a priori.



Laura Koeppel

Pour nous, les enjeux qui découlent de tout cela sont très clairs, mais il faut dire que ces tiers, ces financiers, arrivent exactement sur la ligne de rapports de forces, souvent cordiaux mais relativement tendus, qui existe entre distributeurs et exploitants. C’est cette ligne qui permet aux films de sortir, de trouver leur public, mais aussi de faire remonter l’argent vers les distributeurs et le CNC. Si ces enjeux sont tellement importants, et la grande crainte que l’on peut avoir, c’est de savoir comment ces financiers vont jouer sur cette ligne de rapports de forces qui est finalement la plus tendue de la profession. Dans quelles mesures cela risque-t-il de faire bouger des lignes qui sont déjà très complexes ? Notamment pour des films qui sont plus fragiles que d’autres et des salles indépendantes qui font parties de la petite et moyenne exploitation. Les dispositifs mis en place après le refus du texte par l’Autorité de la concurrence vont-ils permettre ou pas de contrôler cette fracture ?

Personnellement, je pense que cela redéfinit une nouvelle ligne, qui n’est plus entre distributeurs et exploitants, mais entre gros circuits et gros distributeurs d’un côté et distributeurs indépendants et salles indépendantes de la petite et moyenne exploitation de l’autre. Des personnes qui avaient l’habitude d’être face à face devraient peut-être réfléchir sérieusement à discuter ensemble si on ne veut pas voir certains films et certaines salles disparaître, tout simplement.



Catherine Bailhache

Pour clore cette introduction, même les gens qui n’ont pas l’habitude auront bien compris que ce sujet, même s’il est clos aujourd’hui, continue de déchaîner les passions. Il y a beaucoup de frustration de n’avoir pas réussi à mettre en place ce système dont on peut penser qu'il aurait certainement très bien fonctionné.


Préambule

L'historique de l'adoption en France du principe
des contributions numériques



Christian Oddos

Avant qu’on ne parte dans les débats économico-techniques, je voulais juste dire quelques mots pour resituer d’où l’on vient et pourquoi on en est là. Cela va être volontairement un peu caricatural.

Il ne faut pas oublier qu’un jour, le marché Nord-Américain a décidé de passer au numérique, essentiellement pour la 3D et les économies d’échelles pour les gros distributeurs. Après un très vif affrontement entre exploitants et distrubuteurs, ils ont décidé mettre en place le système des Virtual Print Fee (VPF) qui est devenu celui de la Contribution numérique (CN) en France. Ils ont donc, comme d’habitude, exporté leur modèle économique sur le marché français.

Avant que la loi ne soit mise en place, la France s’est donc vue imposer un modèle qui favorisait les gros distributeurs et les grosses salles, qui entraient dans une logique d’équipement numérique pour faire des économies d’échelles. Ceci favorisait majoritairement les blockbusters et l’ensemble des films ayant des amortissements sur des durées très courtes.

Très rapidement les indépendants (salles, distributeurs et producteurs) et les auteurs ont décidé de créer une association qui s’appelait le CIN - Collectif des indépendants pour le numérique, qui a été piloté au départ par les distributeurs puisque que ce sont le DIRE et le SDI qui furent à l’origine de cette dynamique. Nous nous sommes dit que si nous laissions ce modèle américain se mettre en place, nous allions nous retrouver dans un système à deux vitesse avec des grosses salles équipées, quelques petites salles équipées grâce aux subventions locales et autres, et une grande part de salles pas équipées du tout. Ce qui n’était pas envisageable pour les distributeurs, surtout les moyens et les petits, qui se retrouvaient en porte-à-faux, obligé d’engager des doubles frais, de masters et de copies 35 mm… Ce que nous expérimentons encore aujourd’hui puisque nous sommes encore en période de transition entre les deux systèmes.

Partant de ce constat, le Collectif s’est demandé comment faire pour que ce marché de salles et de films ne soit pas laissés pour compte. Je dis bien de salles et de films, car les distributeurs, dès le départ, contrairement au CNC, ont bien essayé de faire comprendre que s’il y avait un problème de salles, il y avait aussi un problème de films et de capacité pour les distributeurs à les proposer sur les deux types de formats. Pendant deux ans, nous avons eu pour objectif de proposer un système mutualisé, dans la philosophie du fonds de soutien, dans lequel on intégrait l’idée de la contribution numérique, parce qu’on ne pouvait pas faire autrement, mais en essayant de faire en sorte que cette contribution serve à équiper très vite la totalité des salles qui n’avait pas accès à cette logique de marché ou de subventions.



Catherine Bailhache

Pour résumer, ce système permettait que toute les CN soient mises dans un pot commun et que les grosses salles, qui allaient logiquement en toucher le plus, aident à rembourser l’équipement des plus petites.



Christian Oddos

Sauf qu’à l’époque, la durée sur laquelle allait être payée la CN n’était pas encore fixée. Nous avions beaucoup d’interrogations là-dessus, notamment sur la façon de ne pas pénaliser les films qui circulent et font leur carrière sur le long terme. FNDF n'est pas entrée dans le Collectif, cependant que la FNCF freinait des quatre fers devant l’évolution du numérique, du moins devant notre modèle. Le Collectif a donc souhaité que son modèle soit relayé par le CNC, qu’il devienne officiellement une sorte de « fonds de soutien bis » dédié au numérique.

Le CNC a repris une très grande part de nos propositions, les a adaptées aux exigences réglementaires nationales et européennes et a ensuite proposé le texte l’Autorité de la concurrence pour validation.

Pour des raisons que j’ignore, le CNC a très longtemps considéré comme évidente que la réponse serait positive. Nous avons aussi rencontré cette Autorité, qui a très largement auditionné les professionnels du cinéma, y compris les tiers opérateurs, qui existaient déjà à ce moment-là. Ils avaient déjà pris des positions sur le marché et voyaient bien sûr ce fonds de soutien d’un très mauvais œil, comme pouvant leur prendre des clients potentiels.

Pour mémoire je rappelle qu’il existe trois type de tiers. Les tiers financeurs, les tiers opérateurs et les tiers collecteurs. Dans les trois cas de figures le principe est le même, on regroupe des salles et un intermédiaire se met en place entre elles et le distributeur ; seule la logique financière change. Ce «.tiers.» est chargé de négocier avec les fabricants de matériel et les installateurs dans les salles (en finançant directement le coût ou en garantissant à terme son amortissement vis-à-vis des établissements de crédit). Il permet à la salle de trouver un financement soit en apportant l’investissement soit en garantissant un emprunt. Il se charge ensuite de collecter les CN qui permettent d’amortir l’investissement. C’est un nouvel intermédiaire qui arrive sur un marché sur lequel il n’y avait antérieurement que des exploitants et des distributeurs.

Je reviens au texte présenté par le CNC, qui a donc été rejeté par l’Autorité de la concurrence. Elle a considéré qu’il ne permettait pas aux tiers opérateurs de se développer librement, qu’il interférait avec la liberté de commerce du marché et que le CNC, pouvoir réglementaire attribuant des fonds publics, était à la fois juge et partie. Ce qui est étonnant, c’est que le fonds de soutien classique n’est pas jugé comme anti-concurrentiel, mais le fonds de mutualisation sur le numérique oui, alors que nous sommes clairement sur la même logique. Je pense quand même que le CNC n’a pas bien communiqué sur le dossier. Par ailleurs, il convient d’être conscients que l’Autorité de la concurrence défend désormais des principes guidés par une logique économique d’inspiration purement libérale.



Sylvain Clochard

Pour moi c’est vraiment le fond du problème. Il y a ce système qui s’est mis en place au Etats-Unis parce qu’ils n’ont pas d’équivalent du CNC. En France, comme tu l’as dit, il existe un fonds de mutualisation dont le but premier, je le rappelle, est l’aide à la création, la modernisation et à l’équipement des salles. Ce fonds de soutien étant alimenté par la TSA (Taxe spéciale d'un montant de 10,72% du prix d’un billet ponctionnée par le CNC pour constituer un fonds de réinvestissement dans le cinéma et l'audiovisuel) et redistribué à l’ensemble de la filière française. C’est ce qui fait la spécificité du système français. Il y avait donc une solution très simple, avant de se lancer dans le système de la CN, qui était de partir directement de ce fonds soutien et de voir comment l’adapter. Finalement cette option n’a pas été étudiée. Nous sommes partis sur le système américain qui part d’une somme forfaitaire, alors que le système du fonds de soutien est proportionné (en fonction des recettes). À partir du moment où l’on créer une notion de seuil (la CN en l’occurrence) on entraîne nécessairement des questionnements nouveaux au moment de la sortie des films : chez qui va sortir le film, à qui paye-t-on 500.€ de CN ? Quand on est sur un système proportionné ces questions ne se posent pas. Que le film sorte ou pas chez vous, vous cotisez. Tous les problèmes que le comité consultatif essaie de résoudre aujourd’hui partent de là.



Christian Oddos

C’est l'une des propositions que le SDI avait faite au moment où le texte a été retoqué. Nous avions proposé une majoration temporaire de la TSA qui se serait arrêtée après l’amortissement du matériel.



Catherine Bailhache

Sauf qu’entre-temps les tiers investisseurs avaient déjà commencé à travailler…



Christian Oddos

C’est justement un des faux arguments qui a été utilisé par le CNC, disant que dans certains cas il faudrait payer deux fois… Sauf que nous avions proposé un système de péréquation qui permettait de rembourser ceux qui avaient déjà versé des CN, de façon à ce que cela soit totalement neutre. Cela a été refusé sous le prétexte que l’Union européenne devrait être consultée et que l’obtention d’une réponse mettrait deux ans à parvenir. Cette solution, également soutenue par le GNCR n’a même pas été étudiée mais refusée a priori.



Laura Koeppel

Pour nous, les enjeux qui découlent de tout cela sont très clairs, mais il faut dire que ces tiers, ces financiers, arrivent exactement sur la ligne de rapports de forces, souvent cordiaux mais relativement tendus, qui existe entre distributeurs et exploitants. C’est cette ligne qui permet aux films de sortir, de trouver leur public, mais aussi de faire remonter l’argent vers les distributeurs et le CNC. Si ces enjeux sont tellement importants, et la grande crainte que l’on peut avoir, c’est de savoir comment ces financiers vont jouer sur cette ligne de rapports de forces qui est finalement la plus tendue de la profession. Dans quelles mesures cela risque-t-il de faire bouger des lignes qui sont déjà très complexes ? Notamment pour des films qui sont plus fragiles que d’autres et des salles indépendantes qui font parties de la petite et moyenne exploitation. Les dispositifs mis en place après le refus du texte par l’Autorité de la concurrence vont-ils permettre ou pas de contrôler cette fracture ?

Personnellement, je pense que cela redéfinit une nouvelle ligne, qui n’est plus entre distributeurs et exploitants, mais entre gros circuits et gros distributeurs d’un côté et distributeurs indépendants et salles indépendantes de la petite et moyenne exploitation de l’autre. Des personnes qui avaient l’habitude d’être face à face devraient peut-être réfléchir sérieusement à discuter ensemble si on ne veut pas voir certains films et certaines salles disparaître, tout simplement.



Catherine Bailhache

Pour clore cette introduction, même les gens qui n’ont pas l’habitude auront bien compris que ce sujet, même s’il est clos aujourd’hui, continue de déchaîner les passions. Il y a beaucoup de frustration de n’avoir pas réussi à mettre en place ce système dont on peut penser qu'il aurait certainement très bien fonctionné.


Les grandes lignes des travaux du Comité de concertation professionnelle pour la diffusion numérique en salles

Catherine Bailhache

Etienne Ollagnier, vous faites partie du Comité de concertation professionnelle pour la diffusion numérique en salles mis en place il y a un an par le CNC. Il semble avoir des vues sur le long terme puisque les membres sont élus pour trois ans, renouvelables. De là à imaginer un troisième mandat, il n’y a qu’un pas, puisque les questionnements qui nous occupent courront sur les dix années à venir, période au bout de laquelle l’amortissement du matériel installé en ce moment est réputé devoir être achevé, et où, quoiqu’il en soit, selon la loi, plus aucune contribution numérique ne sera dûe par les distributeurs.

Ce comité est composé de cinq représentants de distributeurs et cinq représentants de l'exploitation.

Les travaux de ce comité sont prolifiques : vous vous réunissez régulièrement et avez auditionné un certain nombre de professionnels. À ce jour, vous avez publié neuf recommandations de bonne pratique, les trois premières posant les bases générales, les autres venant éclairer les contractants. Comme nous le disions plus haut, elles ne sont pas forcément faciles à lire, mais une fois qu’on les a assimilées, on se rend compte que vous avez cherché, de façon objective, à partir des usages de la profession à les adapter à ce que vous pensez pouvoir être la nouvelle situation.

Ma première question serait que vous précisiez ce que vous avez cherché à faire avec ces préconisations et où vous en êtes aujourd’hui.

La deuxième serait de savoir, combien de sujets, de votre point de vue, avez-vous encore à discuter au sein du comité, et sur quoi porteraient les prochaines recommandations.

Enfin, comment comptez-vous synthétiser tout cela pour que cela soit compréhensible d’un seul coup d’œil pour la plupart des exploitants qui s’interrogent aujourd’hui sur la manière dont ils vont s’y prendre.



Etienne Ollagnier

Ce comité émane de la loi du 30 septembre 2010, loi qui définit un certain nombre de choses et en particulier le fait qu’elle va s’appuyer sur les usages professionnels, sans les préciser pour autant. Elle précise également que le CNC devra nommer un comité, qui aura pour vocation de redéfinir les usages professionnels et d’émettre des recommandations à destination du marché, afin de respecter les termes de cette loi et les adapter à ces usages professionnels. Nous avons commencé par relire précisément la loi. Comme pour toutes les lois il y a des choses simples et d’autres plus complexes. Notre volonté a été à travers les recommandations, de simplifier le travail des exploitants et des distributeurs dans leurs relations contractuelles, à l’occasion du passage au numérique.

Plus concrètement, nous avons commencé à travailler une semaine après la promulgation de la loi. Le comité est constitué de cinq membres de l’exploitation et cinq de la distribution, représentant la diversité de sensibilités de nos métiers. Circuits, petites salles, majors et distributeurs indépendants sont tous représentés. Pour être honnête, la première fois que nous nous sommes réunis, nous nous sommes demandé comment nous allions faire pour travailler ensemble. Les premières réunions ont connu des échanges un peu musclés puisque nous n’avions absolument pas les mêmes points de vue. Mais, lorsqu’on travaille ensemble une demie journée par semaine pendant plus d’un an, les discussions deviennent constructives et les terrains d’entente de plus en plus nombreux. J’ai mieux compris par exemple ce que c’était de distribuer des films pour une major et inversement les représentants des majors ont certainement pris en compte nos problématiques d’indépendants.



Nous avons donc commencé par les usages professionnels, des choses évidentes, mais pas si simple, comme les questions de dates de sorties, les circulations, les continuations, l’élargissement… Un certain nombre de choses qu’il a fallu définir pour pouvoir ensuite travailler avec les mêmes mots. Derrière ces mots assez simples, il y en a de beaucoup plus complexes dans la loi. Notamment les trois adjectifs sur lesquels elle se base. La loi précise en effet d’abord, que toutes les négociations doivent être menées entre les distributeurs et les exploitants de manière objective, équitable et transparente. Ce sont à la fois les mots les plus sympathiques qu’on puisse imaginer, et en même temps…

La recommandation n°9 par exemple définit l’équité entre les parties. Si nous l’avons traitée en neuvième position, c’est qu’il a fallu beaucoup de temps pour nous comprenions tous cette idée de la même manière. Un des grand principes que nous avons longuement discuté, c’est de considérer que l’équité n’est pas l’égalité. À situation équivalente, les gens doivent être traités de manière équivalente, mais comme il y a un marché avec des gros et de petits exploitants et des gros et petits distributeurs, la notion de situations équivalentes n’est pas évidente. Cette situation existait déjà avec le 35 mm : un distributeur du SDI payait ses copies 35 mm beaucoup plus cher qu’une major qui les faisait fabriquer à l’étranger. Nous avons donc discuté pour savoir si, au regard de cette information, il était équitable ou pas que la major paye une CN moins importante. Nous avons conclu que cela pouvait être équitable, mais, et c’est là que les recommandations prennent leur sens, il fallait que cela reste dans une fourchette de CN raisonnable. Il y aura nécessairement des différences de traitements, c’est le marché qui veut cela, mais cela ne doit pas devenir totalement inéquitable.



Catherine Bailhache

Si je comprends bien, un distributeur indépendant, qui a une structure plus fragile, va devoir payer une CN plus importante qu’une major qui a, de fait, les épaules plus solides. Cela paraît tout de même paradoxal !


Etienne Ollagnier

C’est vrai, mais la légère différence qui va exister dans les tarifs des CN sera toujours moins importante que ce qui existait pour les tarifs au mètre de la pellicule 35 mm. La loi dit que c’est l’économie des distributeurs qui doit être transmise aux exploitants. Si on raisonne de cette manière, l’économie des distributeurs indépendants sera plus importante que celle des gros distributeurs. Avec ce mécanisme, le petit distributeur peut être gagnant.



Laura Koeppel

Si je peux apporter un petit bémol, les CN ne sont dues que pendant la période d’amortissement du matériel, or ce moment correspond aussi à la bascule du parc, moment où l’on fonctionne encore sur les deux supports, numérique et 35 mm. On sait que les salles qui ne sont pas encore équipées sont plutôt celles de la petite et moyenne exploitation, là où les petits et moyens distributeurs placent leurs copies. S’ils veulent que leurs films sortent, ils doivent donc payer des CN plus chères mais aussi des copies 35 mm.


Etienne Ollagnier

Évidemment, en tant que distributeur indépendant au sein du comité, j’ai parlé pour ma corporation. Pendant les négociations, j’ai essayé d’obtenir, comme chacun autour de la table, le meilleur dans le cadre d’un compromis. On a essayé de travailler sur la phase de transition, mais en même temps, ça n’était pas notre rôle de régler les problèmes liés à ce moment. C’est vrai que si je mets ma casquette de distributeur, mes sorties de fin d’année sont entre 1,3 et 1,5 fois plus chères que pour la même période l’année dernière, je ne peux pas nier que c’est un gros problème. Mais le rôle du Comité est d’émettre des recommandations dans le cadre du long terme, pour le moment où le numérique sera une réalité totale.

Nos recommandations vont dans le sens d’un équipement des salles dans les plus brefs délais. D’où les contrats à longs termes par exemple. Je m’explique : une des recommandations a été d’inciter les exploitants et les distributeurs à signer des contrats sur toute la durée de la loi, ou a minima sur la durée d’amortissement, pour permettre aux salles qui ont des difficultés à trouver des financements, notamment auprès des banques, d’avoir des contrats solides - si vous avez signé avec x distributeurs qui vous fournissent en moyenne x films par an, vous pouvez prévoir tel montant sur la durée du contrat. La plupart de nos recommandations vont dans le sens d’une accélération du marché.



Catherine Bailhache

Il faut préciser qu’une des recommandations détaille les articles d’un contrat-type et le contenu minimum que l’on doit y trouver.



Etienne Ollagnier

Ce qui est complexe, c’est que nous parlons de beaucoup de choses, mais nous ne pouvons donner des recommandations que dans la limite de la mission qui nous a été confiée.



Baïny Diakite (Concorde de la Roche sur Yon)

Au vu de la loi, pourquoi ne détermine-t-on pas clairement une somme fixe pour les CN plutôt qu’une fourchette dictée par les lois du marché ? Est-ce que ça ne simplifierait pas les relations exploitants / distributeurs ?



Catherine Bailhache

C’est précisément interdit puisqu’il s’agit de loi de marché.



Baïny Diakite
Pourtant on parle de remboursement de matériel, on est donc déconnecté du marché.



Etienne Ollagnier

On est sur du remboursement de matériel, mais sur des bases qui sont totalement différentes selon les typologies de salles. Le Comité a quand même pris conscience qu’il y avait des fourchettes de coût de matériel. Si une salle veut s’équiper de la Rolls-royce des équipements avec 3D, 4K and co, ça ne marche pas.

Nos travaux ont été alimentés par les devis des premières salles équipées que nous a fournis le CNC. On s’est rendu compte qu’un coût d’équipement moyen, selon la salle, variait entre 60.000 et 90.000.€. Nous avons exclu certains coûts du modèle CN, notamment la 3D qui a son modèle économique propre. Nous avons également inclus les coûts obligatoires, comme la ventilation, qui est nécessaire pour l’équipement numérique, mais nous n’avons pas pu prendre en compte toutes les spécificités de toutes les salles. Il y a aussi le CNC qui est là pour prendre en charge les exceptions.

Le Comité a donc défini des fourchettes qui correspondent au marché et dans le cadre de ses fourchettes, la négociation doit pouvoir s’articuler. De fait, on arrivera à des résultats différents.

Par exemple, si on prend d'un côté le SDI, nous avons monté le GIE INDIS regroupant une trentaine de distributeurs indépendants pour mener ces négociations – sachant que les contrats seront ensuite signés société par société– et de l'autre côté, le DIRE qui à monté un GIE équivalent nommé DIRECT, forcément, même si on sait à peu près où en est tout un chacun, nous n’arriverons pas exactement au même montant de CN négocié. Mais si on suit les recommandations, que nos interlocuteurs les suivent aussi, normalement on doit arriver dans une fourchette de CN qu’on peut considérer comme équitable.



Baïny Diakite
L’Autorité de la Concurrence interdit aussi de publier les chiffres résultant de ces négociations ?




Catherine Bailhache

C’est le droit du silence dans les affaires…




Du rôle du médiateur


Catherine Bailhache

Il y a une chose que l’on peut préciser. Les préconisations, comme le nom l’indique ne sont que des recommandations. Ce n’est pas la loi. Et en même temps, dans la rédaction, on voit comment le jour venu, en cas de litige, le médiateur peut s’appuyer sur ces documents pour trancher.



Etienne Ollagnier

Oui, c’est un peu la vocation des recommandations. La loi a quand même donné une certaine autorité au Comité de concertation. Nous sommes d’ailleurs encadrés par un Comité de suivi de la loi constitué de députés et sénateurs. Il y a eu une rencontre lors du Congrès des exploitants avec les rapporteurs de la loi qui nous ont auditionnés pour savoir comment nous percevions le suivi, ou non, de nos recommandations. Sachant que, comme toute loi, celle-ci peut évoluer et que, si d’un côté nos recommandations sont globalement considérées comme bénéfiques par l’ensemble de la profession mais que de l'autre les députés considèrent qu’elles ne sont pas suivies par le marché, elles peuvent devenir parties intégrantes de la loi dans le futur.


Il y a la loi, mais il y a eu aussi le rapport du Sénat sur les discussions qui ont eu lieu sur le texte de loi. On y perçoit l’interprétation de la loi et nous nous sommes basés là-dessus, sachant que cet esprit de la loi est parfois contourné par certains acteurs du marché. Aujourd’hui, le Comité avance sur le rythme le plus rapide possible, les députés ont pris acte de nos recommandations, on voit quand même qu’elles sont suivies par le marché dans sa grande majorité, sinon à la lettre, au moins dans les grandes lignes. Il y a toujours des moutons noirs, mais aujourd’hui, le médiateur peut jouer son rôle, sous réserve qu’il soit sollicité bien sûr. Les premières saisines sur le numérique commencent à se multiplier sur des sujets bien précis comme le patrimoine. Il est dit dans la loi que les CN sont dues pour les films inédits. Il n’est pas dit précisément qu’elles ne sont pas dues pour les films non inédits, mais cela a été précisé dans le rapport du Sénat. Du coup, le Comité a plutôt suivi le rapport sur ce point et préconisé que le patrimoine – redéfini par ailleurs dans la préconisation n°8 – ne paie pas de CN, au même titre que les courts-métrages et un certain nombre d’autres événements particuliers. Cela est contesté par certains acteurs du marché et c’est au médiateur de rendre un avis et a priori, on peut penser qu’il va suivre les recommandations.



Christian Oddos

Sous réserve que la position du médiateur ne soit pas contestée devant les tribunaux par les acteurs dont tu parles. Auquel cas, on est partis pour trois ans de conflit juridique.



Catherine Bailhache

On comprend mieux pourquoi le CNC a nommé le Comité sur la durée. Les choses vont continuer de se définir au fur et à mesure et pendant un certain temps encore.



La notion d'élargissement du plan de sortie (pic de sortie nationale) • le distingo entre les notions de continuation et de circulation

Etienne Ollagnier

Après s’être réuni une fois par semaine pendant un an, nous allons nous voir un peu moins souvent. On estime avoir donné les recommandations nécessaires à la signature de contrats et nous avons besoin maintenant de retour du marché et en fonction de ce qui va se mettre en place nous pourrons faire évoluer nos recommandations.


La différence entre la notion de continuation
et celle de circulation
Catherine Bailhache

À ce propos, je voulais aborder le sujet des continuations et des circulations. Elles sont définies dans les recommandations comme suit : une continuation est un suivi en provenance d’une salle ayant sorti le film en nationale, vers une autre salle. Ce suivi étant mis en place aux lundis de programmation après la sortie.

La circulation c’est un peu la même chose, sauf que le suivi est prévu en amont de la sortie nationale. Là où ça se complique, et si je lis bien les textes, c’est que vous introduisez une différence de fond entre les deux au niveau des CN, puisque dans le cadre d’une continuation, plusieurs CN sont dues, alors que dans le cas d’une circulation, une seule doit être payée par le distributeur.



Etienne Ollagnier

Toute la discussion du Comité a porté sur l’augmentation des plans de sorties. Dans le cas d’une circulation, par exemple, j’appelle Sylvain Clochard, programmateur d’Epic, en amont de la sortie. Il me confirme qu’il va sortir le film au Concorde à Nantes et que derrière, pendant six semaines, il va faire tourner le film dans les salles de son circuit. Il va y avoir une CN due au départ et libre à lui de la répartir, éventuellement dans le cadre d’un accord interne au réseau d’Epic.



Catherine Bailhache

Mais pour autant, le montant de cette CN ne va pas être plus élevé que d’habitude. Du coup, ça ne représente pas une grosse somme à se répartir entre six ou sept salles.



Etienne Ollagnier

Non, mais c’est une mutualisation qui est vertueuse. En général, les salles auxquelles on s’adresse dans le cadre de ces circulations sont des groupements régionaux de cinémas petits ou moyens, qui tous seuls auraient plus difficilement accès aux films. Donc moi distributeur, comme je le faisais déjà en 35 mm, je donne une copie qui me coûte tant, mais on va m’assurer une circulation sur six ou huit salles donc j’imagine que je rentabiliserai cette copie.

Si la continuation est venue dans les discussions du Comité, c’est parce que plusieurs gros problèmes nous ont été soumis dans le cas de l’élargissement du plan de sortie.



La notion d'élargissement
du plan de sortie d'un film


Etienne Ollagnier


D’abord qu’est-ce que l’élargissement ? Prenons le cas de films qui marchent et qui sortent par exemple sur 100 copies. Avec de très bons résultats en première semaine, ils vont passer en seconde semaine sur 120 copies, en troisième sur 140… Dans le cas d’un film qui marche, la logique voudrait que l’on prenne le pic, autrement dit son nombre maximum de copies, disons 160 copies en 4e semaine, pour obtenir le nombre de CN à payer par le distributeur. 160 copies, donc 160 CN. Sauf que dans la pratique, s’est posée la question de savoir à qui payer les 60 copies supplémentaires, correspondant à l’augmentation par rapport au plan de sortie initial. Or, les situations sur des exemples très concrets se sont avérées complexes, même dans le cas de sorties cent pour cent numériques. D’autant plus complexes que les salles n’ont pas contracté avec les mêmes interlocuteurs. Par exemple, les tiers investisseurs ont dit : "Notre pic se fait par rapport au parc de salles avec qui nous sommes en contrat. Vous aviez 30 salles dans notre “circuit“ au moment de la sortie, il y en a 35 aujourd’hui, vous nous devez donc 5 CN supplémentaires." Ce à quoi nous, distributeurs, répondons : "Oui nous avons 5 salles nouvelles chez vous, mais dans le même temps, j’en ai perdu 5 ailleurs, donc mon chiffre initial n’a pas bougé."



Catherine Bailhache

Etienne, je me permets d’intervenir, avant que vous ne repreniez, pour donner quelques explications aux personnes qui ne maîtrisent pas les discussions de programmation du lundi matin. Je vais volontairement schématiser.

Jusqu’à présent, au vu du temps et du coût de fabrication d’une copie 35 mm, quand un distributeur disait : "Je sors 100 copies de ce film.", il sortait effectivement grosso modo sur 100 copies – je passe volontairement sur les retirages, l’ADRC et autres. Autrement dit, il faisait un choix, prenait un risque. Une fois ce choix fait, on n'y revenait pas, parce que c'était tout simplement impossible, vu la lourdeur de fabrication des copies.

Aujourd’hui avec la facilité de fabrication du système numérique et son coût moindre, plutôt que de prendre le risque de sortir directement ces 100 copies, il peut déjà en placer 80 en nationale et il sera toujours temps, en deuxième semaine et en fonction de la demande, de rajouter 20 copies. C’est là qu’intervient la notion de pic telle que l’a définie Etienne. Le Comité a donc décidé que le calcul de ce pic serait effectué sur la période des quatre premières semaines d’exploitation. Un temps paraissant raisonnable, sur lequel la plupart des carrières des films se jouent et au-delà duquel toute augmentation supplémentaire ne saurait être prise en compte dans le calcul du pic. La sortie nationale ne se définit donc plus dès la première semaine comme on en avait l’habitude jusqu’alors.

Ce qui complexifie les choses c’est que, même s’il rajoute 50 copies neuves en deuxième semaine, il se peut aussi que parmi les 100 de la première semaine, 30 quittent leurs salles de sortie nationale pour suivre dans 30 autres salles. Et ces 30 là ne sont pas des copies neuves. Ce qui nous donne bien 80 nouvelles salles en seconde semaine, mais seules 50 avec des copies neuves. Voilà pourquoi au bout du compte, un distributeur estimera ne devoir que 50 CN, face à 80 salles qui elles se fichent de savoir d'où vient la copie et estiment toutes devoir percevoir une CN !



Etienne Ollagnier

C’est exactement ça. Et cette problématique de savoir comment on répartit les CN correspondant à l’élargissement de 50 écrans, qui vont concerner 80 salles, est encore compliquée dès lors qu’on a plusieurs interlocuteurs qui eux-mêmes souhaiteraient nous voir raisonner en termes de pic interne à leur réseau. Cela a été l'une des discussions les plus longues du Comité, avec d’un côté des interlocuteurs du marché qui ne voulaient pas entendre parler de pic national et de l’autre les distributeurs rappelant que la loi parle de pic national. Tout ça pour dire que la recommandation à laquelle nous sommes arrivés pour résoudre ces problèmes a consisté à dire qu’un distributeur devrait bien 50 CN et non 80.

Quant à la répartition, elle est simple dans certains cas. Imaginons que nous ayons 50 salles au départ. Ces 50 copies continuent dans les mêmes cinémas en seconde semaine et on ajoute 5 nouvelles salles en seconde semaine. Les 5 nouvelles CN sont donc à payer aux 5 nouveaux cinéma. La difficulté survient quand on a la simultanéité de deux phénomènes, élargissement du plan de sortie et continuations. Dans ce cas, nous avons considéré qu’une caisse de répartition doit être mise en œuvre. Elle va être créée par le CNC, sur la base du système Webcinédi. Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit d’un logiciel en ligne mis en place par le CNC permettant la remontée des bordereaux de recettes vers le distributeur de manière électronique. L’idée est de rajouter, sur un logiciel équivalent, des informations sur les plans de sortie, pour que ce logiciel puisse évaluer l’augmentation de ces plans et faire en sorte que la caisse de répartition puisse redistribuer les CN de manière équitable aux salles concernées. Si nous reprenons notre exemple, il y aura donc 50 CN à répartir entre 80 salles.


Des circulations organisées par les réseaux associatif de diffusion culturelle • du rôle de l'ADRC dans le cadre de la diffusion numérique en salles

A propos des circulations
mises en œuvre par des réseaux associatifs
dans le cadre d'actions culturelles

Catherine Bailhache


Je reviens sur les circulations. Dans le contexte que vous expliquez, une mise en place de circulation avant la sortie, je comprends la solution que vous proposez. On divise une CN unique entre les différentes salles de la circulation. Mais dans ce cas, le distributeur s’adresse à un programmateur qui travaille pour un circuit.

Là où cela me semble problématique, c’est qu’il existe aussi d’autres types de circulations, sur la même définition que celles que vous décrivez, mais qui relèvent du registre de l’action culturelle. Dans ce cas, elles ne s’organisent pas dans le cadre des réseaux de programmation, mais plutôt des réseaux associatifs de salles. Dans les régions de l’ACOR, je pense notamment au réseau Cinéphare, qui organise ce type de circulation, principalement d’ailleurs pour des films distribués par des sociétés indépendantes. Ce type de films ne trouvant souvent de circulations que dans le cadre de l’action culturelle. L’accès à certaines salles, petites et moyennes qui peuvent avoir des difficultés à rembourser leur matériel, ne s’opérant alors que par ce biais-là.

Et ce que je comprends, c’est que plus il y aura de salles sur ces circulations, moins elles toucheront de montants de CN. Cela veut dire que demain, Cinéphare va se voir dire par certaines salles, «Tu es bien gentil, mais tes circulations ça ne nous intéressent pas. » Plus on va faire de circulations avec vous, moins on va toucher d’argent pour amortir notre matériel. C’est quand même problématique. D’autant que, je le répète, cela touche surtout les films défendus par les distributeurs indépendants et qui sont exposés dans ces réseaux de petites salles avec des débats, la venue des réalisateurs…



Etienne Ollagnier

Bien sûr, ce que vous dites est important. Le problème des cas particuliers, qui sont en l’occurrence des cas capitaux pour nos films, c’est qu’ils mélangent plusieurs problématiques. Souvent, ces réseaux avec lesquels les distributeurs indépendants travaillent régulièrement sur les sorties, ont comme problématique l’accès rapide aux films. Je le voyais en 35 mm, quand un réseau comme Cinéphare me demandait une copie pour de toutes petites villes par rapport à mes sorties nationales, que je regardais les chiffres de ces salles et le travail à fournir pour atteindre des chiffres importants – tournée de réalisateur, animation… - je me posais tout le temps la question de savoir si je tirais cette copie ou non. C’est vrai que nous, petits distributeurs et ces petites salles essayons plutôt de travailler ensemble et souvent on tirait une copie un peu à perte. Quand on n’était pas sur une copie ADRC, on espérait que la circulation serait suffisamment longue pour qu’elle s’amortisse.



Catherine Bailhache
Une copie ADRC ne vous coûte rien.



Etienne Ollagnier
Effectivement, mais une copie ADRC c’est quand même un peu différent, elle n’arrivait qu’en deuxième semaine et elle était fournie en général pour des films art et essai un peu porteurs. Il fallait que le film soit demandé sinon il n’y avait pas de retirage.


Catherine Bailhache
Elle arrivait en deuxième semaine, c’est donc encore dans la période dite de pic aujourd’hui.



Etienne Ollagnier

Sauf que le tirage ne nous coûtait rien puisqu’il était totalement pris en charge. Ce n’est pas au Comité de dire ce que doit être le rôle de l’ADRC sur le numérique.

Pour répondre à la question, j’entends bien ce qui est dit et j’y suis forcément sensible, mais le Comité ne peut pas résoudre ce problème puisqu’il s’inscrit dans une économie qui était aidée, parce qu’elle ne peut pas fonctionner sans, et qu’il faudra continuer à aider. Aujourd’hui, pendant la phase de transition les choses sont encore plus complexes du point de vue du distributeur puisque nous travaillons encore sur les deux formats. D’une part parce que des cinémas de sorties nationales ne sont encore équipés qu’en 35 mm, d’autres, à moitié équipés, veulent du numérique en première semaine et du 35 mm en troisième quand ils basculent dans une salle plus petite pas encore équipée en numérique. Nous avons aussi des sorties majoritairement numériques en premières semaines car le film passe dans des gros cinémas, et très 35 mm en troisième ou quatrième quand le film passe dans de plus petits postes. Il faut être honnête, cela fait partie des problèmes qui vont se poser dès la fin de l’année. C’est un enjeu pour tous les distributeurs. On en entend déjà aujourd’hui qui disent, je ne ferais pas de 35 mm sur ce film parce que je vais dépenser 50% de plus pour servir 150 ou 200 salles qui ne représentent que 20% de mes recettes. Il y a déjà des gros films de Noël qui sont annoncés 100% numériques.



Du rôle de l'ADRC
dans le cadre de la diffusion numérique en salles

Christian Oddos

Je voulais juste revenir sur l’ADRC. Ils travaillent actuellement avec le CNC afin de trouver une solution d’urgence à cette problématique que nous, distributeurs posons, depuis plusieurs mois – le SDI comme le DIRE. À savoir que pour l’instant, pour des raisons extrêmement obscures, le CNC n’autorise pas l’ADRC à intervenir sur le champ du numérique. Pour revenir aux circulations « classiques » (semaine après semaine), avant, une copie ADRC, par définition, était prise en charge par l’ADRC. Elle pouvait trouver sa viabilité économique. Aujourd’hui, à situation égale, les distributeurs doivent payer une CN. À partir de ce moment-là, ils vont forcément avoir un raisonnement économique par rapport au paiement de cette CN, et s’ils ne remontent pas suffisamment de recettes pour la compenser, ils vont avoir tendance simplement à ne pas donner le film. Il aurait été normal que l’ADRC, sous des modalités à définir, puisse intervenir, d’autant que comme le dit la loi, la CN est la contrepartie numérique de ce qu’était la copie 35 mm.



Catherine Bailhache

Je vais m’exprimer en tant que coordinatrice de l’ACOR. Quand on comprend ce que vous expliquez là et qu’on pense aux répercussions que cela va avoir sur les réseaux de salles et sur les films dont on parlait tout à l’heure, je pense que nous allons envoyer un courrier au Comité, afin de vous faire part de nos préoccupations à ce sujet. Je comprends très bien que vous puissiez nous répondre que ce champ particulier n’est pas de votre ressort, mais une réponse écrite de votre part, reprenant ce que l’on vient de se dire, va nous permettre de rebondir, de nous tourner vers d’autres instances, ADRC ou CNC et d’avancer.



Indépendance entre perception de CN et programmation de la salle : réalité ou fantasme ?

Catherine Bailhache

Je vais maintenant donner la parole à Sylvain Clochard.

Sylvain, tu es exploitant à Nantes, une grande ville avec une forte concurrence, y compris sur l’art et essai. Tu as en face de toi des exploitants qui viennent de s’équiper en numérique ou sont en train de le faire, qui sont donc dans le système de perceptions des CN, contrairement à toi.

J’aimerais bien que tu nous expliques pourquoi tu ne réclames pas de contributions numériques aux distributeurs.

Ensuite, je voudrais que tu nous parles de la manière dont tu vois les choses par rapport aux salles que tu programmes au sein d’Epic et de Micromégas.




Ne pas demander
de contributions numériques
aux distributeurs,
c'est une question de choix

Sylvain Clochard

D’abord je ne suis pas le seul. Il y a de plus en plus de salles qui choisissent de ne pas demander de CN aux distributeurs, pour différentes raisons. Pour le cas du Concorde, j’ai fait ce choix d’abord parce que j’étais favorable au système d’augmentation du fonds de soutien, parce que c’est un système qui fonctionne, qui a fait ses preuves dans d’autres domaines et qui est réellement un système mutualiste. Ça n’a pas pu être mis en place et nous nous retrouvons avec une loi que nous subissons. Après avoir dit cela, il y a deux façons de faire.

Je prends un exemple très simple. Quand nous avons combattu l’arrivée des cartes illimitées chez UGC et que le CNC a fini par statuer et dire que, si nous étions dans une zone de concurrence avec un UGC, nous avions le droit de demander à ce que ces cartes soient acceptées dans nos salles. Je suis désolé, mais si je suis en concurrence avec UGC et que j’ai combattu ce système, ce n’est pas pour l’accueillir à bras ouverts une fois la loi votée.

C’est la même chose pour les CN. Je me suis battu contre cette idée qu’il faille absolument que les distributeurs contribuent à l’équipement numérique au-delà de ce qu’ils font déjà actuellement, puisque le prélèvement sur le billet qui alimente le fonds de soutien est une ponction égalitaire entre l’exploitant et le distributeur. De fait, les distributeurs aident au financement des salles, de la même manière qu’une partie de ce fonds de soutien aide les distributeurs.

Je sais que ça peut choquer, mais j’estimais qu’en tant qu’exploitant, je n’avais pas vraiment besoin de plus d’argent pour m’équiper. Je suis désolé de le dire, mais le numérique, cela fait quand même dix ans qu’on en parle. J’ai du mal à comprendre quand un exploitant me dit aujourd’hui qu’il se retrouve dans une situation où il ne peut pas investir parce qu’il n’a pas pu anticiper. Je sais bien qu’il y a encore trois ou quatre ans au Congrès des exploitants, notre cher président nous disait encore que le numérique ça n’était que pour dans dix ans, cela dit, malgré ce travail de désinformation permanente, on pouvait quand même se douter que ça allait arriver plus vite que ça.

L’expérience que j’en ai, c’est celle d’un indépendant qui programme de l’art et essai sur une grande ville. On ne peut pas dire que cela soit le truc le plus rentable de la terre et pourtant, j’ai réussi à équiper quatre écrans. Je ne dis pas que ça a été facile, mais on l’a fait. Cela fait partie des investissements que je savais être obligatoires.

Quel que soit le gestionnaire de la salle, qu’il soit privé, associatif ou municipal – il y a les trois cas parmi les salles que je programme – tous savaient qu’entre 2010 et 2012 ils auraient cet investissement à faire, et sur quelle fourchette de coûts se baser. Il y a eu deux attitudes par rapport à cela : soit d’attendre jusqu’au bout pour gratter autant que possible, mais du coup sans provisionner, ou alors choisir d’investir et voir comment s’organiser au mieux. Je veux juste pointer du doigt le fait que les exploitants aient dit « C’est impossible pour nous de nous équiper aujourd’hui, nous n’avons pas l’argent pour le faire ».

Tu le disais tout à l’heure, c’est la moyenne exploitation qui a le plus de mal à s’équiper aujourd’hui. Je ne veux pas être méchant, mais quand on se voit pendant les diverses manifestations et congrès, je vois quand même plus de BMW que de 4L. C’est un raccourci un peu facile, mais j’ai croisé dernièrement un exploitant qui venait de changer son 4x4 Mercedes… qui coûte le prix d’un projecteur numérique. C’est vrai que je schématise, en attendant je programme un réseau d’une cinquantaine de salles qui représentent une centaine d’écrans et je vois bien ceux qui ont vraiment du mal.

Pour ce qui concerne les salles que je programme, voilà ce que j’ai pu observer : les municipaux dépendent d’un choix politique, mais une fois la décision prise, ça marche. J’ai eu le cas dernièrement d’une salle de la périphérie nantaise qui vient de s’équiper mais qui ne fait pas suffisamment de séances pour être éligible à Cinemum. La mairie a clairement dit qu’elle ne financerait pas l’investissement, alors que c’est une commune très riche. Devant le tollé de la population, le maire a fini par faire un chèque. On est vraiment sur un choix politique.

À côté de cela, il y a des communes plus pauvres, notamment dans la périphérie parisienne, qui ont de vrais soucis. En fin de compte le cinéma n’est pas logé à une autre enseigne que d’autres services culturels.

Les salles associatives sont celles qui se sont équipées les premières. Il y a trois ans, des salles de centre Bretagne m’appellent et me demandent "Mais Sylvain, comment est-ce qu’on va faire pour s’équiper ?" À l’époque, il fallait compter 50.000 €. Quand je leur ai annoncé le chiffre, ils étaient rassurés parce qu’ils avaient l’argent sur leur compte.



Catherine Bailhache

C’est le cas dans l’ouest, mais c’est moins vrai dans les autres régions de France…



Sylvain Clochard

C’est vrai. D'ailleurs, on voit que ce sont ces mêmes salles qui ont été les premières à s’équiper à l’époque avec le son numérique ou à rénover leurs locaux via le fonds de soutien.








La réalité des coûts supportés par les distributeurs


Catherine Bailhache

Juste une question, par rapport au Concorde, tu as investi, tu t’es équipé, pourquoi est-ce que tu ne prends pas de CN, alors que le système aujourd’hui est en place ? Et comprends-tu la logique qui a mené à l’instauration du système des CN ?




Sylvain Clochard

Justement non, je ne la comprends pas du tout. Il y a une espèce d’escroquerie intellectuelle qui dit que les distributeurs font des économies. J’en ai encore eu un au téléphone récemment dont les coûts de sorties ont augmenté de 1,5%. Quand il dit ça, il ne parle que du coût de la copie, il ne parle pas des frais de sorties globaux, marketing, presse… qui ont explosé en quelques années. Il y a sept ou huit ans, les distributeurs ont tenté de mettre ce sujet sur la table, d’essayer de revoir la répartition des recettes à cause de cette explosion de frais. Au final, le numérique est arrivé, la situation n’a pas changé, au contraire, puisqu’ils sont sollicités aujourd’hui pour le financement des salles.



Catherine Bailhache

Ils font quand même payer les affiches et les bandes-annonces à pas mal de salles.



Sylvain Clochard

Non, ce n’est pas vrai. Demande à un distributeur indépendant combien ça lui coûte de passer ses bandes-annonces dans les salles de cinéma MK2 !



Etienne Ollagnier

C’est lié à l’explosion du nombre de films par semaine. Quand il y avait dix films par semaine et qu’aujourd’hui il y en a dix-sept, pour avoir une existence médiatique équivalente il faut dépenser beaucoup plus. Ce qui a profondément changé aussi, c’est le système de marge arrière qui s’est mis en place. Ça n’est pas vrai chez tous les exploitants, mais on commence à le voir apparaître au sein de l’exploitation indépendante. Concrètement, on nous demande de plus en plus de payer des pubs dans les magazines, des caissons dans les halls, des couvertures de gazettes, des espaces pour les bandes-annonces… Donc, on ne s’en cache pas, l’équation économique est la suivante : beaucoup de nos films ne peuvent exister en salles que parce qu’il y a des aides, qui permettent aussi de financer ela. Aujourd’hui, la seule recette de la salle est rarement suffisante. Bien sûr, on a souvent d’autres mandats sur les films, et on espère que l’exposition en salles et la publicité qu’on fait autour servira aussi pour la vente du dvd ou les ventes télés.





Le système des contributions numériques :
un frein à la diffusion des œuvres ?

Sylvain Clochard


Il faut le dire, il y a aujourd’hui des distributeurs qui ferment, entre autre à cause de ce que tu expliques là, Etienne. Colifilms vient de mettre la clé sous la porte, Océan, on ne sait pas trop où ça en est.

Si tu veux aller par là, quand les coûts des plans de sorties augmentent, moi exploitant je ne vais pas voir le distributeur pour lui donner de l’argent pour qu’ils puissent sortir ses films ! De la même manière, je n’attends pas de lui qu’il le fasse quand mes frais de fonctionnement augmentent. On s’est tous battu pour que les films, notamment ceux des distributeurs du SDI, puissent pénétrer en profondeur dans nos territoires, jusque dans les petits postes.

Aujourd’hui, je le vois en tant que programmateur, le système des CN est un frein à la diffusion des œuvres, quelle que soit l’agglomération. Alors que le numérique devait être exactement l’inverse.

Vu les coûts de fabrication hors CN, les distributeurs pouvaient prendre la décision de donner une copie en deuxième ou troisième semaine à Callac ou à Loudéac, dans les territoires excentrés peu desservis précédemment par les copies 35 mm, à cause d’un problème de rentabilité. À partir du moment où le distributeur doit payer, quelle que soit la taille de l’agglomération, on crée un seuil. Du coup, ces petites villes ne passeront pas les films plus vite qu’elles ne le faisaient à l’époque 35 mm et on continue de les considérer un peu comme des sous-territoires culturels.





Pour un matériel amorti ou remboursé,
ce serait hors-la-loi
que de réclamer des CN


Etienne Ollagnier

J’écoute avec grand intérêt ce que tu dis, et il y a beaucoup de choses qui rejoignent nos préoccupations. Maintenant, il y a d’un côté les travaux du Comité qui sont basés sur une loi, et la loi c’est la loi. Après, on rencontre un peu tous les avis, mais il y aussi le marché tel qu’il est aujourd’hui. Dans ce que j’entends, il y a quand même deux choses. Il y a toi, exploitant au Concorde qui s’est équipé il y a cinq ans. Si tu peux justifier de manière comptable que tu as amorti ce matériel, tu serais même hors la loi si tu demandais des CN.



Catherine Bailhache

Il y a quand même des gens qui fustigent les choix de Sylvain et qui estiment qu’il est au bord de la distorsion de la concurrence puisqu’en face de lui, se trouvent des exploitants tenus de demander des CN.



Etienne Ollagnier

Oui, mais si le matériel est remboursé, il n’y a pas de raisons de demander de CN. D’ici trois ans, il va y avoir d’autres salles qui auront amorti leur matériel et ne demanderont plus de CN. Sylvain a juste pris de l’avance. Je ne prends pas parti, je me place juste dans le périmètre de la loi. Les salles qui se sont équipées plus tôt et pourront arrêter de demander des CN plus tôt ont pris de fait un avantage concurrentiel sur celles qui se sont équipées plus tard.



Catherine Bailhache

Ce qui prouve quand même que la programmation des films et les CN sont intimement liées.



Etienne Ollagnier

C’est vrai et pas vrai en même temps. Dans ma pratique de distributeur, je réfléchis toujours économiquement à une sortie, comme je le faisais en 35 mm. Quand on me demandait un retirage, parfois même pour Lille, je me demandais quand même s’il y avait suffisamment de suivis derrière pour rembourser les 1 800 € de copie de ce film allemand sous-titré de 2h20. Je veux dire par là que le modèle économique a toujours conditionné plus ou moins la programmation.

Prenons le cas de Nantes, si on regarde les sorties des distributeurs du SDI, au final, je ne pense pas que grand chose ait changé.



Sylvain Clochard

Il y a quand même une chose qui a changé. J’ai eu le cas dernièrement de distributeurs qui m’appellent et m’expliquent que l’économie de la sortie de leur film ne leur permet pas, y compris à Nantes, de justifier une sortie nationale. Il me demandent de sortir le film en décalé au Concorde, après un arrêt parisien. Ce qui leur permet de ne pas avoir de pic et de ne pas payer de CN supplémentaire. Seulement, quand je leur dis que je veux bien faire le film en décalé, mais que de toute façon chez moi, quelle que soit la semaine de sortie, ils ne payeront pas de CN, ils me demandent de suite si finalement je ne veux pas faire une nationale !

Pour moi le numérique devait permettre à certains distributeurs de trouver une économie leur permettant d’avoir accès aux salles dans lesquelles ils n’auraient pas forcément pu aller en 35 mm. De fait, l’imposition d’une somme forfaitaire biaise cette idée.



Etienne Ollagnier

De toute façon on est dans une discussion de marché. Le Comité essaie de faire des recommandations au marché sur la base d’une loi. C’est forcément très complexe, et cela va le rester pendant, les trois années à venir, le temps que tout le monde ou presque soit équipé. Des problèmes comme ceux-là on va en rencontrer plein, et d’une certaine manière, la logique économique des sorties n’est pas profondément changée, mais il y a d’autres mécanismes qui se mettent en place.



Sylvain Clochard

Ça bouge quand même. Pour rebondir sur ce que l’on disait tout à l’heure par rapport à l’ADRC et aux circulations, je suis assez d’accord avec Etienne. La loi dit que l’on doit se baser sur l’équivalence 35 mm, ce qui est complètement idiot – d’ailleurs, à chaque fois que vous avez du mal à interpréter la loi, référez-vous aux usages équivalents en 35 mm. C’est quand même assez pervers.

À mon avis, si le CNC refuse que l’ADRC intervienne sur le numérique c’est que les salles éligibles à l’ADRC sont aussi celles qui sont éligibles à Cinenum. Donc le CNC avance de l’argent aux salles pour s’équiper via Cinenum. Argent qu’il récupère avec les CN payées par les distributeurs. Si l’ADRC intervenait, l’Etat en fin de compte donnerait de l’argent à l’ADRC, qui le donnerait aux salles, qui le donneraient au CNC. Ça s’appelle faire tourner l’argent et c’est tout. Conserver le principe de l’ADRC est extrêmement important, mais on voit bien que cela ne peut se faire sur les bases existantes. Il y a des choses à construire, à réinventer impérativement. Je le vois en tant que programmateur, il y a des salles qui avaient des films en 35 mm sur ce type de circulations qu’elles n’ont plus aujourd’hui à cause des CN. On est en train d’instaurer partout le numérique, qui justement permet de diffuser le film où l’on veut quand on veut, mais on a mis tellement de barrières en place qu’on est train de revenir en arrière.

D’ailleurs, qui a choisi de mettre ces barrières en place ? Je rappelle juste un dîner au Congrès des exploitants il y a cinq ans où j’étais assis à une table avec des circuits où je me suis entendu dire, « Mais Sylvain, tu ne crois quand même pas que la petite exploitation va avoir accès aux films en même temps que nous.»



Catherine Bailhache

Démonstration convaincante, une fois de plus.


Le "carnage" de l'installation numérique des salles

Catherine Bailhache

La parole est maintenant à Laura Koeppel.

Laura, c'est à toi que revient de conclure cette table ronde. Les contrats de CN sont censés courir sur une période de dix ans, mais tu vas nous expliquer pourquoi les salles seront certainement obligées de faire évoluer leur matériel avant la fin de cette période. Tu vas également nous parler du travail des installateurs, de la manière dont les salles sont équipées aujourd’hui.


Laura Koeppel


Pour rebondir sur ce que vient de dire Sylvain Clochard, je suis également très attachée à l’indépendance.

Ce qui me surprend depuis plusieurs années, c’est de voir comment la réflexion sur ce qui touche la technique est toujours mise de côté. Je suis tout à fait convaincue depuis longtemps, que l’assise et le pouvoir des tiers investisseurs, se fait sur quelque chose d’un ordre financier bien sûr, mais aussi sur le fait de garder pour soi un savoir technique dont on nous explique qu’il est extrêmement complexe et sur lequel on ne peut pas avoir de prise. Cela à pour conséquences deux choses.

D’abord le "carnage" de l’installation numérique des salles. Une des raisons à cela, qui est réelle, est la précipitation dans laquelle se font ces installations. Ayant été à la commission d’aide sélective à la distribution, j’ai suivi les demandes faites aux distributeurs pour essayer de préparer ce passage au numérique. J’étais assez consciente du problème qu’allait poser le moment de transition, donc je sais pourquoi ça va vite. En même temps, je constate aujourd’hui que les quelques choses très simples nécessaires à une installation numérique de base ne sont jamais mises en œuvres.







Entrer dans l'ère du numérique,
c'est entrer dans l'ère
de l'obsolescence des machines


Avant de vous donner des exemples, je tiens également à rappeler qu’entrer dans l’ère du numérique, c’est entrer dans l’ère de l’obsolescence des machines. Cela va avoir des conséquences sur le mode de financement actuel.

Les machines que Sylvain Clochard a achetées en 2006 ne sont plus fabriquées aujourd’hui. Idem pour les Barco Série 1 qui étaient encore installés il y a à peine un an, qui ne sont plus fabriquées non plus et ne sont pas upgradables en 4K (format qui commence à arriver dans certaines salles).

Comme j’utilise des machines de différents constructeurs, j’entends parfois des discours qui me paraissent étranges. Par exemple, c’est quand même bizarre que dans notre pays on ait dit qu’il fallait attendre que DLP fasse du 4K alors que Sony en fait depuis six ans (je précise que je n’ai pas de préférences pour l’un ou pour l’autre).

Même sans poser la question du 4K, le fait que l’on se soit équipé il y a deux ans et que les machines ne soient déjà plus fabriquées pose des questions très concrètes sur ce cycle de l’obsolescence dans lequel nous sommes entrés.

Cela dévie un peu du sujet, mais en ce qui concerne la conservation des films, il y a eu récemment un colloque à la Cinémathèque française où j’ai enfin eu le sentiment d’entendre des choses précises et sans langue de bois.







Installation des équipements
privilège du déploiement
au détriment de la qualité des réglages


Pour en revenir au "carnage" de l’équipement des salles : en ce qui concerne les installateurs, qui sont pour certains des gens que je connais depuis vingt ans et qui m’ont sauvée plus d’une fois la mise quand j’avais des problèmes de projections, je ne leur jette pas la pierre, mais si vous devez vous équiper en numérique, il faut savoir que la plupart des grands circuits ont décidé de privilégier le déploiement, donc la rapidité, au détriment de la qualité des réglages de bases qui devraient être effectués, mais qui prennent du temps.

Ensuite, parce que vous n’êtes pas forcément au courant et que vous avez l’impression que c’est compliqué et que la personne qui vient installer chez vous doit être demain matin à l’autre bout de la France et ne va donc pas faire les réglages en vous expliquant que ce n’est pas la peine, on se retrouve aujourd’hui dans une situation où toutes les salles sont en train de s’équiper d’un matériel qui coûte relativement cher, dont on nous a expliqué qu’il est formidable, qu’il marche tout seul et qu’il est bien mieux que le 35 mm… Bref un discours d’une bêtise lénifiante. Tout passage à une nouvelle technologie demande du temps, entraîne forcément des problèmes, génère des bugs qu’il faut corriger, demande des réglages… Vous avez tous un ordinateur, vous voyez ce que je veux dire. Concrètement, je dis que dans 80% des salles, les réglages ne sont pas effectués.






Les 4 réglages impératifs


Quels sont ces réglages ? Il y en a quatre sur lesquels vous ne devez pas transiger :

Premièrement, comme sur un projecteur 35mm, il faut choisir la bonne puissance de lampe pour avoir la bonne luminance (48 Candela/m2).

• Deuxièmement, la colorimétrie, c’est la grosse différence avec le 35mm. Si vous avez la bonne lampe et un projectionniste qui connaît son métier, il sait régler et faire son étale de lumière sur l’écran. À partir de ce moment-là, vous savez que vous allez restituer correctement en termes de couleurs les films que vous projetez. En revanche, un projecteur numérique a besoin d’être étalonné par rapport à votre salle pour qu’il restitue exactement les couleurs des films. Quand ils sortent de l’usine, les projecteurs sont calibrés d’une certaine manière (réglages usine) qui ne correspondra pas à votre salle. Il faut impérativement que l’installateur calibre la colorimétrie et qu’il ne vous raconte pas qu’on peut faire un copier/coller des réglages d’une salle qui ressemble à la vôtre. Même si cette salle est équipée de la même machine, elle n’a pas physiquement le même projecteur, et de toute façon il n’existe pas une salle identique à une autre.

• Troisième chose sur laquelle il faut être intraitable, c’est ce qui correspond en 35 mm à la taille des fenêtres, aux différents formats. En numérique, cela s’appelle une macro. Concrètement, vous avec un dossier par format. Quand vous cliquez sur le bouton correspondant, par exemple pour le 1.85, cela va automatiquement régler l’objectif, le point, la luminance, la colorimétrie correspondant au 1.85. Cela doit impérativement être vérifié par l’installateur qui doit régler les problèmes de parallaxe, de trapèze… qui sont très fréquents puisque l’on sait que les projecteurs sont rarement parfaitement plans et pile en face de l’écran.

• La quatrième et dernière chose à vérifier, c’est la convergence. Certains installateurs expliquent qu’ils ne peuvent pas la régler parce qu’il y a un petit scotch Barco qu’il faut enlever pour ouvrir la machine et effectuer les réglages (et de fait faire sauter la garantie). J’ai posé la question à un monsieur de chez Barco qui m’a certifié que cela était faux et qu’il fallait absolument régler les convergences.

Ces 4 réglages doivent êtres effectués par votre installateur s’il est compétent. Quand je dis compétent, je ne porte pas un jugement de valeur. On sait qu’aujourd’hui les installateurs sont débordés. Au point même que certaines personnes quittent leur poste. Récemment un des meilleurs techniciens que je connaisse a démissionné, m’expliquant qu’il ne faisait plus que du déballage de cartons (il est parti travailler chez un tiers investisseur…).






Sensibiliser le public
à la qualité des projections numériques



Je crois qu’il est impératif aujourd’hui de sensibiliser notre public. Le jour où les spectateurs se rendent compte qu’il y a quelque chose de bizarre lors des projections, il y a un pas qui est difficile à franchir.

Lorsque j’ai supervisé l’installation d’une salle qui m’est proche, il a été inconcevable au début de penser qu’on allait me livrer une machine avec une mauvaise lampe et que j’allais devoir quasiment menacer quelqu’un que je connais depuis vingt ans pour qu’il accepte de faire les bons réglages.

De la même manière, il est difficile pour les spectateurs, auxquels on répète à longueur de temps que le numérique c’est génial, de comprendre pourquoi ce qu’ils voient à l’écran est finalement moins bien qu’avant. Il est donc important de former nos spectateurs.

Il faut aussi préciser que si les réglages luminances peuvent êtres effectués avec un spotmètre, les réglages de colorimétries doivent êtres effectués à l’aide d’un spectromètre qui mesure de manière très précise la luminance et les couleurs à l’écran pour que logiciel qui gère le projecteur puisse recalculer les données et arriver à la norme AFNOR.

Cet appareil coûte évidemment très cher. La version de base de chez Jeti, utilisé par beaucoup d’installateurs, coûte entre 5.000 et 8.000.€. La version beaucoup plus fiable, le Minolta CS-200, coûte entre 15.000 et 20.000.€. A ce prix-là, les installateurs ont une machine pour 15 employés et sont obligés de choisir les salles dans lesquelles ils vont les emporter, en expliquant à ceux à qui ils ne peuvent pas faire les réglages correctement qu’ils reviendront en janvier 2013 pour tout calibrer mais qu’il ne faut pas s’inquiéter, tout va bien se passer...

C’est une réalité. Vous risquez de payer une installation extrêmement onéreuse, avec l’aide du CNC, et vous aurez sur votre écran quelque chose qui n’a rien à voir le film tel qu’il a été conçu. (Le cas m’est arrivé. Alors qu’avec un autre projectionniste de haute volée, encore plus calé que moi, nous savions exactement ce que nous voulions.)

Le problème, c’est que le calcul des lampes que nous savons tous faire en 35 mm n’est plus possible avec les projecteurs. Tous les projecteurs ont des rendus de lumière différents. À tel point que les outils de calcul automatique qui existait sur les sites des constructeurs – je rentre ma taille d’écran et ça me donne la bonne lampe – ne sont pas toujours accessibles. Plus ils sortent de nouvelles machines, plus le rendu est différent. En gros, il faudrait un outil de calcul par projecteur. Du coup, ils vous offrent une lampe à l’achat de la machine, lampe la plus puissante autorisée par le projecteur.

Un exemple. Dans une salle pour laquelle je travaille, nous avions demandé des 1.200 Watts, les machines ont été livrées avec des 2.000 Watts.

En baissant l’intensité de la lampe on était à 72 Candela/m2 : 30% de lumière en trop. On n'en est même plus à se demander si ça se voit. Ça modifie totalement la structure même de l’image, ça modifie complètement la colorimétrie.

À partir du moment où la puissance de la lampe n’est pas bonne, vous n’arriverez jamais à avoir ni les bonnes lumières ni les bonnes couleurs. Quand on a vu ça, j’ai dû envoyer un texto avec un rapport technique à l’installateur, qui me connaît depuis longtemps et qui savait que je ne le lâcherais pas, et le patron de la salle, qui n’est pas un grand technicien mais qui a du respect pour ses spectateurs a dû le menacer de ne pas payer le solde si les bons réglages n’étaient pas effectués.



Catherine Bailhache

Le problème avec les tiers investisseurs c’est qu’on n’a pas de poids là-dessus…



Laura Koeppel

Pour finir sur ce point, je veux juste vous dire que finalement, ce n’est pas très compliqué : il faut juste que vous disiez à l’avance ce que vous souhaitez exactement, et que vous fassiez bien comprendre que vous ne lâcherez pas l’affaire. Également que vous preniez le temps nécessaire. Un chantier, numérique ou 35 mm, j’en ai fait beaucoup, il y a toujours des imprévus, du retard, surtout que dans le cas du numérique, bien souvent, ils ne viennent même pas repérer les cabines à l’avance.

À Vincennes, c’est nous qui avions fait le travail préparatoire. Il faut que vous prévoyiez plus de temps que ce qu’ils vous proposent, donc de fermer votre salle un peu plus longtemps. Il faut aussi les prévenir qu’ils ne partiront pas tant que vous n’avez pas les bons réglages et il faut être avec eux au moment où ils viennent. Les mesures dans la salle, ça n’est pas très compliqué, l’appareil ressemble à une petite caméra qui prend la lumière sur l’écran, ensuite il suffit de lire les valeurs sur l’ordinateur et l’on sait tout de suite si c’est bon ou pas, s’il faut lui demander de recommencer ou pas.





Et la CST ?


Antoine Filippi (CNC)

Première chose, je voulais savoir si vous aviez fait appel au service de la CST quand vous vous êtes heurtée à des difficultés d’installation et quelles sont les réponses qui vous ont été éventuellement apportées – cela dit, j’imagine que la CST est totalement débordée par l’ampleur du phénomène.

Deuxième chose, je viens de la technique, et je n’ai pas le sentiment non plus que dans l’ère du 35 mm, la qualité des calages était toujours exemplaire.



Laura Koeppel

Sur la CST, c’est un peu compliqué de répondre. Si je vous réponds ce que je pense profondément… Je peux me tromper. On va dire que c’est un peu iconoclaste. Premièrement, la CST édicte des normes. Au colloque de la Cinémathèque, Alain Besse (responsable de la diffusion à la CST) expliquait que les normes ne pouvaient avoir force de lois que quand elles sont des lois, justement, et qu’ils ne pourraient intervenir qu’à ce moment-là. La CST vient donc pour contrôler. Ça coûte 500.€, ils viennent et vous expliquent que vous n’êtes pas dans la norme et que vous devez rappeler votre installateur. Ce dernier vous tient alors le même discours, avec ou sans CST, qu’ils repasseront en janvier 2013 pour faire les réglages.

En ce qui concerne le 35 mm, vous avez compris que je devais être également assez exigeante sur ces projections. On sait tous que 80% des multiplexes ne sont équipés qu’en 1.85 et en scope, qu’il y a un certain nombre de dérives depuis longtemps en ce qui concerne la projection. Ça n’est pas propre au numérique. Mais justement, ce passage au numérique aurait pu être un moment où l’on en profitait pour augmenter la qualité des projections.

Ensuite, il est quand même assez aberrant et révoltant de ce dire que vous achetez une machine qui coûte très cher, dont on vous explique qu’elle est géniale, que votre projection va être parfaite, qu’en plus les copies projetées seront les mêmes partout, qu’elles ne s’abîmeront plus… Sauf que partout vous allez voir un film qui n’est pas celui du réalisateur puisque vous n’avez pas les bonnes couleurs.

Et je n’ai pas encore parlé des écrans métallisés, nécessaires pour faire de la 3D avec les systèmes RealD et Master Image. Ces écrans ont un point chaud qui déforme complètement l’étalement de la lumière sur l’écran. En plus, en fonction de l’endroit où vous êtes dans la salle le point chaud se déplace. Vous pouvez voir quatre fois le film d’une place différente et voir quatre fois le film massacré d’une manière différente.



Christian Oddos

Concernant la CST et son rôle sur la vérification des normes, elle risque demain de ne même plus avoir cette influence sur l’agrément des salles par le CNC. Un arrêté serait en effet en préparation, à la demande notamment des grands exploitants, pour faire en sorte que la CST n’émette plus à l’avenir qu’un « avis » strictement consultatif. Ceci donnerait toute liberté aux exploitants pour adopter la technologie numérique et les types d‘écrans qu’ils souhaitent (écrans métalliques 3D par exemple), quelles qu’en soient les conséquences sur la qualité des projections.





Laura Koeppel

Pour finir sur le 35 mm, vous pouviez avoir une mauvaise lumière, des copies abîmées, un mauvais cadre… Mais vous ne pouviez pas changer quelque chose d’aussi subtil que les couleurs. On me dit souvent, " Mais toi, tu vois plus les défauts que les autres.", ce qui m’énerve profondément. Je pense que tout le monde voit les défauts, la seule différence c’est que comme je sais comment ça marche je peux analyser ce que je vois.

En 35 mm, quand il y a des altérations au cours de la projection (rayure, décadrage, casse…), le spectateur sait très bien qu’il s’agit d’un"rajout". À part s’il voit Boulevard de la mort, il sait que la rayure qu’il vient de voir n’est pas l’image du film, et d’un certain point de vue, cela lui permet, presque inconsciemment de corriger ce défaut de projection.

En numérique c’est beaucoup plus complexe puisque ces défauts font partie intégrante de la matière de l’image. De fait, le spectateur n’a plus aucun repère pour identifier les défauts de projection.

Comment je m’en suis rendu compte ? J’avais un débat à Vincennes avec Bertrand Tavernier. Comme je voulais revoir le film, la veille je vais aux Halles, qui venait de s’équiper en numérique. Dès la publicité, j’ai vu qu’il y avait trop de lumière et quand le film a démarré, je me suis dit, que c’était absolument inconcevable que ces couleurs soient celles du film. Je suis restée voir le film, me disant tout du long, je ne peux pas croire que Tavernier et son chef-opérateur aient travaillé comme ça. Le lendemain à Vincennes je suis restée voir le début du film que nous projetions en 35 mm, je peux vous jurer que ça n’était pas le même film. On est dans quelque chose qui est d’une violence extrême.

Sur la manière dont la CST peut contrôler ou pas, je ne connais pas assez les dispositions techniques. Mais qui va payer 500.€ pour que quelqu’un vienne vous dire que vous n’êtes pas conforme à la norme et que vous devez rappeler votre installateur, qu’il faudra repayer et que de toute façon il ne repassera pas avant des mois… Ça ne sert à rien.

D’autre part, sans vouloir jeter la pierre, j’ai eu à appeler la CST sur des choses très concrètes, autre que le numérique, et l’on m’a répondu : "Il n’y a pas de norme, débrouillez-vous." Il y a une instance qui doit créer des normes, mais que je n’ai jamais vue dans les salles, depuis vingt ans que j’y travaille. Je pense vraiment que tant qu’il n’y aura pas de moyens de pression sur les installateurs et sur les exploitants qui veulent faire le travail trop vite, tant que nous n’aurons pas pris de position très claire sur les écrans métallisés (sur lesquels aucun réglage n’est satisfaisant) le travail continuera d’être mal fait et tant pis pour les spectateurs. Si on prend l’exemple d’UGC : j’avais l’habitude d’aller voir les films à 22h30 aux Halles parce que je savais que la qualité de projection était bonne. Comment un circuit, qui avait comme fierté la qualité de ses projections, à partir du moment où il a basculé dans le numérique (on sait avec quelle précipitation), peut-il prendre sciemment des décisions qui font que leurs projections deviennent juste immondes ?… Comme si cela avait fait sauter tous les verrous, que tout est possible et qu’après tout, on se fout des films et des spectateurs.






De la déconsidération
des projectionnistes…




Catherine Bailhache

Je ne suis pas technicienne, mais la différence que je vois également, c’est que dans une cabine 35.mm, que le projectionniste soit un crack où pas, il avait malgré tout une prise sur le matériel. Avec le numérique ils ne peuvent plus rien faire.



Laura Koeppel

Il y a plusieurs choses.

D’abord certaines salles qui s’équipent, avec du matériel très onéreux comme on l'a déjà dit, espèrent faire quelques économies en se passant de projectionnistes. Très vite, il n’y aura plus personne en cabine. Apparaissent déjà les premiers problèmes, le mauvais film qui est lancé, la mauvaise macro… De plus, il n’y a plus aucun respect de la profession de projectionniste alors que nous avons une pratique de l’image projetée. Anecdote : il y a six mois, j’explique à un directeur du déploiement du numérique d’un grand circuit – je travaillais dans une salle de vision dépendant de ce circuit – que les réglages de la salle de vision ne sont pas bons, qu’il faut les refaire. Il me répond, “Tu n’es pas moderne“. Comme on sait que je suis attachée au 35.mm et à la matière de l’image, si je dis que les réglages ne sont pas bons c’est parce que je ne suis pas moderne… Tout ça pour dire qu’au moment des installations, la parole des opérateurs était déjà totalement discréditée. Ce qui fait qu’il n’y a eu aucun retour, même dans les hautes sphères, du carnage qui était en train de se produire.

Pour ce qui est de la prise sur les machines, on peut apprendre à faire des réglages. Si j’en avais les moyens, il y a aujourd’hui des choses que je saurais faire. La convergence par exemple est assez simple à régler (il y a un système de mire qu’on bouge avec de petites molettes, il faut juste enlever ce fameux scotch Barco pour y accéder). Les macros, ce n’est pas beaucoup plus compliqué. C’est juste que, comme une fonction qu’on utilise peu sur son ordinateur, on apprend à la faire une fois et six ou huit mois après, quand on y revient,on a un peu oublié la procédure. La où vous ne pouvez pas intervenir c’est sur la luminance et la colorimétrie puisque vous n’aurez pas les machines de mesures qui coûtent très cher. De toute façon, si vous êtes équipés avec un tiers investisseur il n’est pas question que vous touchiez à la machine... Si vous projetez de la merde tant pis pour vous ! Avec toujours ce discours qui nous explique que le numérique c’est formidable puisqu’on peut tout contrôler à distance avec le réseau. Et la convergence, et la colorimétrie, on peut les contrôler par le réseau ?

En bref, il faut avoir un peu de connaissance technique et ne pas se laisser dire que c’est trop compliqué ou trop rébarbatif.



Catherine Bailhache

On est contraints de quitter les lieux… Cet échange va faire l'objet d'une transcription, consultable et téléchargeable sur le site de l'ACOR. Merci à tous. Et à suivre…